par PILON Jeu 12 Mar 2015 - 23:30
J’ai eu l’occasion de participer à la chasse aux poulpes, voici l’une d’elles que je décris dans mon livre sur Reao.
La jeep roule à Gake, au bord du rivage sableux…
A peine sont-ils arrivés au terminus que Faumea a sauté de la voiture qui ralentissait.
De ses yeux perçants et surtout bien habitués à ce genre de recherche, elle a vu un poulpe.
Elle court au rivage, rentre dans l'eau et se saisit de l'animal qui se prélassait sur le sable.
D'une main preste, elle l'a pris au bon endroit derrière la tête qu'elle retourne, annihilant ainsi toute réaction.
L'animal a déjà collé tous ses tentacules sur les bras de la fille, puis sur ses cuisses.
Elles les décollent l'une après l'autre de sa main libre, en riant.
Les deux Popaa l'observent, ils n'ont jamais vu ça.
Ils se disent qu'ils sont bien incapables d'en faire autant.
Teie te kanoe, voici un poulpe, dit-elle en s'approchant de la jeep, et, pour s'amuser, elle colle les bras de l'animal qui n'a plus guère de réaction le long des jambes de Rohi qui en descendait.
Il s'en défait comme il peut et le balance sur le siège arrière.
- Kanoe, c'est bien le nom du poulpe ? lui demande-t-il.
- Oui, c'est le nom Reao, à Tahiti, il faut dire fe'e ; dans les Tuamotu en général c'est le heke.
Fe'e et heke, c'est bien le même mot.
Kanoe c'est du pur dialecte de Reao et de Puka Rua, c'est un mot qui est venue de Mangareva dans le bagage culturel des émigrants dont je te raconterai bientôt l'histoire.
- Heke, est aussi un mot de Mangareva ?
- Oui, et aussi comme kakararu, le cafard gros comme un doigt qui vole le soir autour des lampes.
En disant ces derniers mots, Faumea qui marchait le long du rivage sableux, bondit une nouvelle fois et renouvelle l'opération.
En quelques secondes, ce poulpe, dont les bras, comme ceux de la précédente prise, font un bon mètre de longueur, est mis hors de combat.
Il doit peser deux kilos précise-t-elle.
Pendant une heure, en parcourant tous ensemble deux kilomètres de plage, elle va en capturer une trentaine, seuls trois lui échapperont.
La plus imposante de ces bêtes a des bras atteignant deux mètres ; elle accusera dix kilos sur une balance !
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La capture de nombreux poulpes de cette façon simple se produit souventes fois à certaines périodes de l'année ; elle est, elle aussi, une source importante de nourriture.
On en prend bien plus qu'il n'en faut pour les besoins immédiats.
Aujourd'hui même - et déjà Katalina s'y est attelée -, les kanoe vont être mis à se dessécher au soleil, à proximité des farés, écartelés sur un morceau de branche, leur huit tentacules pendants, le tout ressemblant à du linge au sec disposé sur un porte manteau.
Tetai, pour les faire préparer, donne des ordres en conséquence aux femmes et aux filles de sa maisonnée.
Dans quelques jours quand ils seront bien secs, ils pourront être conservés ainsi en prévision de périodes de disette.
Revenus dans l'eau qui les cuira, ils seront un délice, apprêtés avec du riz.
Tout secs, ils sont prisés par les enfants qui en chapardent les morceaux car ils en sont gourmands, ils les dégustent un peu comme les petits popaa dégustent le bois de réglisse ou le sucre d'orge.
Les enfants paumotu semblent alors mastiquer un morceau de caoutchouc venant d'un pneu de bicyclette.
André Pilon