par CHRISTIAN TOURGON Mar 5 Fév 2019 - 17:47
L’INCORPO.
Il y a des souvenirs qui refont surface au gré de ces sympathiques échanges de messages et de photos (ici celle de notre ami Daniel-top-model) entre nous, anciens arpètes, sur ce site, décidément très instructif et ludique à la fois. Durant le mois de septembre, très doux en cette année 1963, j’ai fait la découverte de cette grande maison blanche (rien à voir avec l’Américaine du même nom où habitait à l’époque le président JF Kennedy) adossée à la colline (comme aurait pu chanter Maxime, mais il ne l’avait pas encore écrite et la sienne était bleue !) de Saint Mandrier. Arrivé de mon Auvergne natale je croyais bêtement pouvoir porter le bel uniforme bleu marine avec col bleu et pompon rouge dès le premier jour de mon incorporation, et cela aurait été l’aboutissement de l’envie qui me tenaillait les tripes depuis des années. Tout comme sur les photos que j’avais admirées de mon papa en 1934 et son papa à lui en 1890. Las … quelle ne fut pas ma déception quand j’appris de la bouche d’un gradé, second maître armurier instructeur de notre compagnie (la cinquième), que nous devions passer un mois avec des espèces de tenues hideuses (je vous renvoie à la photo ci-dessus de Daniel). En effet il n’était pas question pour nous, jeunes ados tout juste échappés de la vie civile, de porter ce bel uniforme dont nous rêvions depuis l’enfance, dès les premiers jours car il fallait d’abord passer le mois à faire la preuve que nous étions capables de rester et signer notre engagement. Et d’ailleurs la tenue dite « de sortie » ne nous aurait été d’aucune utilité puisque de sortie il en était prévue aucune pendant un mois. Ce fut donc le mois de l’incorporation, " l’incorpo" comme on disait. Alors nous avons rangé nos habits civils dans notre valise et les instructeurs nous ont fringués mais il fallait voir comment ! Un calot trop petit pour couvrir notre tignasse, style Eddy Mitchell sur la pochette du 45 T « Be Bop A Lula », par encore réduite à sa plus simple expression par le maître clairon-coiffeur Capoul, ou un de ses second-couteaux. Et pour le reste : un bénard en toile bleu passé qui correspondait rarement à la longueur des jambes et une veste du même métal que le clown Bozo n’aurait pas voulu pour faire ses cabrioles ! Et nous voilà partis pour passer notre mise à l’épreuve avant d’être admis à l’EAMF ou renvoyé dans nos foyers. Et toute cette mise en scène consistait à nous faire l’apprentissage de la marche au pas, le demi-tour réglementaire et le salut non moins réglementaire. Avec ça l’installation dans les locaux d’hébergement qui, pour nous futurs apprentis armuriers, se situaient au dernier étage du bâtiment et se nommaient non pas la chambrée, comme dans la biffe, mais « la carrée » (en référence certainement au terme employé à bord des navires pour désigner le lieu de vie des officiers … très chic expression pour une grande salle voûtée où deux rangées de lits superposés faisaient face à un mur de placards en tôle dits « caissons » et dont la seule ouverte était une fenêtre arrondie avec des grilles dignes d’une maison d’arrêt. Les plumards métalliques un peu raides, avec des maigres couvertures râpeuses comme du papier de verre et des draps aussi raide que du carton allaient être notre seul confort pendant toute la durée de notre séjour à l’école. Mais tout cela était un vrai bonheur et aucun d’entre nous n’imaginait un seul instant revenir sur sa décision. Devoir, à la fin de l’incorpo, quitter cette école aurait été un vrai drame et l’envie de valider notre choix était plus fort que toute velléité nostalgique de retour à la vie civile. Ainsi ayant passé ce mois d’essai, et toutes les brimades et corvées imposées par les traditions ajoutées à l’épisode des vaccins dont le fameux TABDT, et la fièvre qui va avec, nous avons enfin vu le bout du tunnel. Après avoir supporté ce bouclage de quatre semaines intra-muros, sapés comme des loques nous avons passé chez le tailleur pour toucher enfin nos vraies tenues de marin tant pour le travail avec les fameux « bleus de chauffe » que pour les sorties en ville avec nos tenues numéro un ! Nous avions hâte d’aller faire un tour en ville dans les rues de Toulon où nous rêvions d’exhiber fièrement nos uniformes de jeunes « gars de la marine » nous les gamins qui nous prenions pour des adultes avec cet habit militaire mais dont le bachi, par encore défailloté, rappelait notre âge au public par son ruban où l’on pouvait lire « école des apprentis mécaniciens » !