Arrivé au bureau Pers du Taaoné, j'assiste au départ pour la métropole de l'ancien premier-maître.
Comme il se doit, il y a pot de départ.
Mon camarade de BE, arrivé quelques jours avant moi, un Parisien, plus déluré que moi, se saisit d'une bouteille de whisky.
Celle-là est pour nous, dit-il.
Je n'ai jamais bu de whisky.
Pour moi c'est juste la boisson des cow-boys dans les westerns.
A la fin du pot, lorsque que l'on a retiré la table à laquelle j'étais appuyé, je me suis écroulé.

Le bidel d'Arué me charge à l'arrière de sa 2 CV pour m'amener au camp.
Sitôt qu'il est au volant, je me sauve, pas loin, je ne suis pas en mesure.
Je suis persuadé qu'il me conduit en prison.
Il m'attrape, me remet dans la voiture.
Si tu bouges encore, je t'assomme.
Je me le tiens pour dit.
Arrivé au camp, il me déshabille, me met sous la douche et me couche.
Ce n'est pas beau cela ?
Le croisant le lendemain, je le vois venir avec appréhension.
Il m'apostrophe : alors petit, mal aux cheveux ce matin ?
Pas gentils les bidels ?
Enfin, pas tous, celui du Taaone (un pays à Jobic, je l'évitais autant que possible).
Beaux débuts !

Deux femmes assuraient le ménage de notre bureau.
L'une d'elle commençait par rouler une pelle à chacun d'entre nous et n'acceptait de faire le ménage que si l'un d'entre nous lui rendait les hommages dus à sa personne dans les toilettes voisines.
C'était le QM2 (boucher dans le civil) qui était commis d'office.
Tous les jours.
Belle éducation pour le petit jeune que l'étais !

Des vieux campagnards m'avaient incorporé dans leur groupe pour des nuits de folies.
Matelot sous durée légale, je n'avais pas de sous, mais eux en avait.
Tous les matins, j'arrivais au bureau fiu.
Et souvent pas qu'un peu.
Une adjudante, ancienne d'Indo ou d'Algérie, peut-être les deux (elle avait un sacré placard), du bureau Pers/Terre, m'a pris sous son aile protectrice.
Tous les matins, elle venait avec son petit sac plein de pilules de toutes les couleurs qu'elle me forçait à ingurgiter.
Moumousse, dans quel état tu t'es encore mis, me disait-elle.
C'était hyper efficace, ça ramonait par le haut, par le bas, le grand ménage.
Après j'avais les idées plus claires.
C'était ma maman poule, je l'aimais bien.
Mais le QM2, lui, avait sur elle des yeux bien différents et ne s'en cachait pas.
Alors elle s'est confiée au chouf, un ancien, marié, père de famille.
Je sais, disait-elle ce qu'il veut, mais je pourrais être sa mère, qu'est-ce que je peux faire pour pour qu'il se tienne tranquille ?
Cédez-lui, avait répondu le chouf, une fois qu'il aura obtenu ce qu'il cherche, il vous foutra la paix.
Ces marins, rien à en tirer, incorrigibles, répondit-elle, en s'éloignant.

Du Taaoné, j'ai plein de souvenirs.
Mais rien n'est figé, les choses changent, Optimar, optimisation des moyens, passe par là.
Les nouveaux se forgeront de nouveaux souvenirs dans les nouveaux locaux.
Ainsi va la vie.