UN SUNDERLAND A KAROUBA
Cette intervention technique, quoique lourde (et peu onéreuse en personnel) ne relève pas de l’exploit, loin de là.
Mais il m’a semblé intéressant de décrire ce qui pouvait se pratiquer dans les années 1947/1950, afin de le comparer aux possibilités d’aujourd’hui.
- Spoiler:
- A l’issue d’un exercice GASM en Bretagne, je reçois l’ordre suivant du commandant de la 7F :
« Vous ralliez Toulon où vous prendrez passage vers la BAN de Karouba. Le Sunderland 7F.2 y est abrité depuis un an.
Vous le remettrez en état de vol.
Deux quartiers-maîtres mécaniciens (avion et moteur) vous accompagneront.
Les services techniques de Karouba vous fourniront les moyens nécessaires complémentaires (personnel équipements/électriciens, ateliers, logistique etc.).
Vous conduirez la remise en état de vol, jusqu’au point fixe complet.
Vous rendrez compte alors, à la 7F, qui enverra l’équipage pour vols techniques et convoyage vers Dakar.
Vous serez seul juge du déroulement des travaux.
Bien évidemment, le CST de Karouba sera tenu informé des problèmes éventuels …
Nanti de ces directives, nous voici à Toulon et embarquons sur un trimoteur hydro Dornier de la 9F qui nous conduit à la BAN Bizerte-Karouba, toujours au milieu de la forte odeur d’essence, bien connue, dans ce type d’appareils.
Nous arrivons dans cette base, en service d’été, en juillet, par la très forte chaleur habituelle de cette région.
Notre premier geste est d’aller reconnaître l’objet de nos futurs exploits !
Le spectacle est pour le moins attristant, pour ne pas dire inquiétant. Imaginez le tableau !
L’appareil est au fond d’un hangar, couvert de poussière, chacun de ses 4 moteurs neufs (non équipés) repose au sol, sur des pneus ; les circuits électriques et exactors pendent en dehors des fuseaux moteurs.
Le premier contact est démoralisant.
Dès le lendemain matin, 6 h 30 (service d’été 6 h 30-13 h 00), mise au travail.
Du haut de mon année de grade de SM (quel pouvoir ! j’ai 22 ans) je me présente au CST.
Accueil courtois (sans plus), mise au point des besoins immédiats, contact avec le personnel civil et nous voici tous les trois plongés dans notre tâche.
Habillage des moteurs, vérifications des réseaux, installation au déstockage des réservoirs, etc.
Inutile de décrire l’énormité de la tâche.
Les travaux avancent, nous écourtons (pour nous trois) le service d’été.
Les concours nous sont à peu près fournis.
Honnêtement, l’ambiance n’est pas bonne et les relations avec certains personnels civils, chargés de nous soutenir, se tendent.
Exemple : mon camarade mécanicien avion, effectue une
vérification et contrôle complet des commandes de vol et gouvernes installées par les civils.
Furieux, il me rend compte de malfaçons évidentes.
Entre autres, les axes de gouvernes de profondeur ne sont pas fermés (pas de goupille !).
Explication orageuse, bousculade, un civil tombe à terre. Imaginons l’ambiance.
Les jours passent, mais la confiance a disparu.
Le grand jour est arrivé.
J’effectue les pleins d’essence partiels.
Appareil sur le parking pour le 1er point fixe.
Nous avons des spectateurs…
Sélection des réservoirs, alimentation par les principaux et là, les moteurs s’arrêtent en quelques minutes.
Sourires narquois chez les « observateurs ».
Dans l’impossibilité de redémarrer, et saisi d’une crainte en laquelle je n’ose croire, nous débranchons les tuyauteries de sortie des réservoirs principaux … sous une charge de 300 gallons d’essence, pas une goutte ne sort !
Les joints en cuir de stockage avaient été laissés en place par les personnels qui les avaient montés !
Ambiance, explications avec le CST etc.
La mise au point générale s’effectue, ponctuée de nombreuses retouches, mais cela peut se concevoir.
Point fixe final, essais radio et servitudes.
Tout semble ok dans ce que l’on peut tester hors plan d’eau.
Message à Dakar.
En quelques jours, l’équipage arrive.
Essais reconnus satisfaisants par l’équipage après quelques retouches électricité/équipement (et c’est ce qui explique ce qui suit).
Mise à l’eau, prise de la bouée.
Et là, le gros problème.
Pour effectuer une petite correction, le QM mécanicien monte sur l’hélice placée en Y, passe la tête dans les capots et clac, le moteur vire au démarreur !
Coup de pale sur la tête, le QM tombe à l’eau.
De la tourelle avant, je saute à la mer (ce n’est pas un exploit, il fait 30° extérieur).
Pas de blessure.
Je monte, furieux, au poste pilote où, bien sûr, on me dit que personne n’a actionné le démarreur.
Mais au poste mécanicien, on a pris les contacts des bobines de départ.
Test.
Mauvais branchement des circuits.
La cause de l’incident est incontestable.
Retour en vedette.
Debriefing.
Imaginez encore l’ambiance.
Pour créer un choc, le chef de bord fait allonger le QM au fond de l’embarcation qui nous ramène à terre.
Accostage devant le groupe de spectateurs qui ne sourient plus.
Montrant le QM, le CA leur dit « voilà le résultat de vos négligences ! »
Puis, le choc passé, le QM se relève.
La leçon a porté.
Nous ferons le 1er vol le lendemain, en fait nous en ferons 4 consécutifs, car à chaque dévirage après essais de mise en drapeau, chaque hélice refusera obstinément de reprendre sa position « vol » (cherchez l’erreur !).
Enfin, après un vol de rodage agréable qui nous conduira de Bizerte à Djerba, par Hammamet, Sousse, Sfax et Gabes, nous pourrons partir vers Toulon, puis Dakar, heureux d’avoir malgré tout, mené à bien cette intervention technique pour le moins peu fréquente.
Anecdote de Pierre Mériot parue dans une gazette de l'ARDHAN