Sa mémoire était exceptionnelle, elle se souvenait de tous les noms et prénoms des voisins, des amis, des commerçants, des institutrices, etc. etc., sans parler de tous ces détails très précis sur la vie quotidienne des Brestois à cette époque.
En 1996, quand j'ai été désigné pour la station radio de Kerlouan, elle m'a cité un par un tous les noms et prénoms de tous ses élèves de l'école publique de Kerlouan - "l'école du Diable" - dans les années 1927-1930.
Et ce n'est pas tout : sur chacun d'entre eux, elle m'a raconté une anecdote, souvent savoureuse.
Alzheimer ?
Connais pas !
Brest et la presqu'île de Crozon à l'époque des diligences
Hé oui ! ce n'était pas au XVIIIème ni au XIXème siècle mais bien au début du XXème siècle
Ma mère se souvenait parfaitement de cette époque où il y avait encore des diligences
"Pour se rendre de Brest à Crozon, on embarquait au port de commerce sur un vapeur qui traversait la rade. Cette traversée était sans danger, même en temps de guerre. La Marine Nationale en interdisait l'accès aux sous-marins ennemis. Un astucieux chapelet de mines en barrait l'entrée au niveau du goulet. Les Allemands ignoraient l'emplacement précis du chenal. Nous aimions cette traversée en bateau.
Nous débarquions au petit port du Fret. Une nuée de gamins proposant coquillages et fruits de mer nous entouraient aussitôt. Deux ou trois coches à chevaux attendaient. On y montait et fouette cocher ! En route pour Crozon !
- Spoiler:
- .../... Dès que Jean-Pierre (le fils de sa grand-mère de Crozon) eut treize ans, il entra au service d'Auguste Danielou et apprit à soigner les chevaux. Il devint le bras droit d'Auguste, l'homme actif du clan. Il vida le fumier des écuries, le remplaça par de la paille fraîche, mit de l'avoine dans les râteliers, fit boire de l'eau fraîche aux précieux chevaux. Il les étrilla, apprit à les soigner, leur parler.
La lourde diligence à laquelle on les attelait était remisée le soir sous un hangar hors du bourg. Il y menait les bêtes chaque matin pour les atteler. Il les dételait la journée finie. Le coche dormait sous le hangar dont Jean-Pierre fermait la porte. Puis il ramenait les montures à l'écurie derrière la maison et les soignait. Les rudes besognes ne lui furent pas épargnées. Un vaste grenier coiffait la maison. On y engrangeait chaque année la paille fraîche.
Plus tard, il devint cocher et conduisit la diligence."
Plus loin dans le livre , chez l'autre grand-mère :
"Il fallait bien au moins une fois par an passer une semaine ou plus à Saint-Nic.
N'était-ce pas le pays natal, berceau de sa propre ascendance ?
Son mari, le quartier-maître, y avait encore sa vieille maman Marie-Corentine et deux sœurs, Marie, épouse du charpentier Joncour, et Jeanne, employée à l'Hôtel des Voyageurs.
Mère nous accompagnait tout le temps de séjour.
Nous allions d'abord de Brest à Crozon. Une halte s'imposait là. On y restait une ou deux nuits puis, le matin à l'aube, nous montions dans le "courrier", une diligence à l'ancienne mode qui desservait Tal-ar-Broas, Telgruc, Plomodiern et autres lieux. Les cahots n'empêchaient point les voyageurs de somnoler.
S'il faisait encore nuit au départ, il faisait plein jour quand nous arrivions à Saint-Nic. .../...
.../... Le spectacle était fascinant quand le charron, aidé d'un compagnon, cerclait une roue en plein air. Imaginez une large couronne de fer chauffée à blanc, posée à même le sol : des souffles brûlants, des bouffées de vapeur, des sifflements féroces, des martèlements sourds, des jaillissements d'étincelles et deux ombres humaines gesticulant autour."