
La journée a bien commencé, disais-je, et tout ira pour le mieux, jusqu'à la nuit tombée.
Tout au long de notre transit vers la Corse, nous aurons l'impression de faire notre n-ième 'Croisière des Salins" ; sauf que nous serons passés au sud des 'Iles du Levant" et pas entre elles.
Casex, alerte incendie, alerte voie d'eau, avarie de barre, tir contre terre (ilôt du Bananier), etc... ; tout y passera.
Mais de la flotte ; pas le moindre navire?
La nuit est tombée depuis un bon moment et, après avoir dîné au poste, je vais prendre mon quart au PC ASM, de 20h00 à 00h00.
Tout se passe normalement et sans les "à-coups habituels" : poste de combat ASM, poste de combat Artillerie, etc... ; pas d'alerte donc.
Une soirée bien "peinarde", en quelque sorte.
Par contre, pendant ces 4 heures, la mer a considérablement "forci", sous l'effet d'un puissant vent d'est.
Il paraît que nous sommes arrivés dans les parages de la côte est de la Corse.
Personnellement, je n'ai pas prêté grande attention aux cabrioles, de plus en plus désordonnées, de notre bâtiment.
Il faut dire qu'il y a longtemps, déjà, que je suis amariné.
Arrive notre officier ASM, juste pour la relève de quart ; il est presque minuit.
"MONEL, va réveiller "B......" au poste des Choufs ; nous avons une panne de "phonie" et, comme il a le sommeil lourd"...
"Et surtout, prudence ; la mer est déchaînée et le pont dangereux".
"Alors, n'oublie pas de prendre ton blouson de mer et ta "mae-vest" et, en outre, fais attention de bien refermer les portes étanches".
Une vraie mère poule ce LV (le futur amiral Méchet) !!!
Me voici donc parti.
Je descend les échelles internes du bloc-passerelle et arrive à la première porte étanche ; celle qui permet d'accéder au pont, entre le bloc-passerelle et le roof, dans lequel se trouve le poste des Choufs (voir "écorché" du Normand >>> entre les 2 plate-formes triple TLT ; en dessous du berceau de la baleinière et sous l'affût double de 20mm).
Tout en vérifiant mon harnachement, je prends conscience que la mer est vraiment mauvaise et que des lames puissantes balaient la partie du pont sur laquelle je vais devoir m'aventurer.
Alors, je me lance et décoince 5 des 6 taquets que comporte la porte ; cependant, je garde le dernier, celui du centre extérieur, en attente.
J'ai retenu (de je ne sais qui) qu'à 7 lames de plus en plus fortes, en succèdent 7 autres de moins en moins fortes (est-ce bien vrai ?).
Je commence donc à compter et, quand je crois que c'est le bon moment ; je dévérouille le dernier taquet, ouvre la porte et, une fois dehors, m'apprête à refermer l'issue.
C'est alors que tout bascule.
En une seconde, je vois la lune à tribord (elle est si ronde, si pleine et si brillante).
Elle éclaire un ciel sans nuage, car le vent a du faire le vide ; c'est vraiment féerique, idéal pour mourir, quoi...
J'en suis à ma contemplation, quand elle disparaît, brusquement ?
C'est alors que mon esprit se réveille et que je réagis à toute vitesse.
Pas de doute, c'est une énorme vague qui arrive et qui va submerger l'endroit où je me trouve.
Vite, je croche le mousqueton de ma mae-vest dans la ligne de vie que les boscos ont eu la bonne idée d'installer...
Il était temps.
La lame me prend, me pousse vers babord, me soulève, me brasse et, finalement, me laisse sur le "c..", complètement abasourdi, sur le pont.
Miracle !!! Ma sangle m'a sauvé.
Merci mon Dieu ! Merci les boscos, Merci ! Merci ! Merci ...
Vite, je me relève, souque les 6 taquets et me précipite, aussi vite que je le peux, et sous des cataractes, vers la porte du roof.
En fait, ce n'est pas évident, car il y a les chandeliers, à travers lesquels passe la ligne de vie.
Tous les 5/6 mètres environ, il faut donc décapeler et recapeler le mousqueton pour pouvoir le faire coulisser ; et, tout cela, dans les déferlantes.
Heureusement, la plate-forme TLT tribord offre une certaine protection, dans ma progression.
Enfin, m'y voilà ; ouf !!!
Vite, j'ouvre, puis referme la porte de la coursive ; pas de problème cette fois.
Je trouve mon chouf (qui dormait, effectivement) ; je le réveille et nous partons, ensemble, pour la passerelle.
Chemin inverse, donc, et mêmes manoeuvres ; sans problème, cette fois.
Me voici à l'abri ; trempé, mais bel et bien vivant.
Je vais pouvoir aller retrouver mon bon vieux et fidèle hamac ; mon havre, en quelque sorte.
Quelle aventure !!!
Comme quoi la vie tient à bien peu de chose.