Je souhaite vous présenter ses deux citations en campagne, à l'ordre du 33-ème régiment d'Infanterie Coloniale, reçues par mon Grand-Père maternel et cinq cartes postales qu'il a écrites depuis le front. Je dispose de ces documents depuis plusieurs années. La lecture des cartes est difficile d'abord de par leur contenu mais aussi car l'aspect rédactionnel est un mélange de patois Normand et de langue Française et l'orthographe assez phonétique. Le milieu ambiant de rédaction, les tranchées pour certaines et le cantonnement pour les autres, l'expliquent. De surcroit, je suspecte une intervention de la censure militaire. Certains mots ou expressions sont gommés ou rayés ou remplacés avec une calligraphie différente.
Les informations suivantes que j'écris m'ont été communiquées par ma mère. Son père est décédé en 1936. Lors de la déclaration de guerre avec l'Allemagne, le 03 août 1914, il arrivait au terme de son service militaire; d'une durée de trois ans à cette époque. J'ignore une grande partie de ses campagnes. Cependant, je sais qu'il a participé aux batailles de Verdun, du Chemin des dames et des Dardanelles et qu'il a séjourné à Salonique. Voici ces documents:
- Ses deux citations.


- Les Cartes postales. Les deux premières, écrites en 1915 et 1916, intéressent la Marne.


Comme pour les autres, à l'exception d'une dont l'écriture s'est effacée avec le temps, j'ai retranscrit le texte en respectant au plus près les mots et l'orthographe mais en traduisant quelques mots de notre patois. Certains mots ou expressions illisibles sont remplacés par des points d'interrogation.
" Cher parant Deux mots pour raconte ma vie que je vien de passé ches jours (ces) je ? (peut-être je suis) blesse davant (surchargé) parler ces meriens je repartit aux fest (raturé) camme (comme) a l'ataque est à 11 du mat matin en sortant les boche on tire sur nous on blesse me (mon ou mes) camaradeest-il (trois mots sont rayés) resset? sur le capro (caporal ou capot?) ses (c'est) la (là) que je vu le sant roulet (j'ai vu le sang rouler) sur le chant de bataye (le champ de bataille) (rature) on ma tés des boche (on a tué des boches) surtout dans leur cania je vous avis (avise) que Courteller je cois (crois ?) qui es blesse je le pas revu depuis je vu les cania des boche ses (c'est) bien fait dans leur cania ils sont sont ? planche an planche je seret (serai) relevet (relevé) pour 3 jour seulement je ? 3 jour sans manget est (et) sur l'eau je tasur (t'assure) que sa ne (ce n'est) pas beau à voir bien le bonjour a touts ses (c'est) de la par de votre fils Louis Martin je ? pas le sans de vous an mettre ? si je vis plus ? je ? en ne ?" (Là, je pense que la censure est intervenue. Il a dû évoquer sa probable mort ce qui devait être censuré pour le moral de l'arrière).


Celle-ci a été écrite à son beau-frère; l'un de mes oncles.
" Le 29 mai 1916. Cher Arthur je vien de recevoir la lettre est (et) le mandat je te remerci je te dire qui va ales (allé) un copain en permission chejour (ces jours) ils y a voir tu lui donneras un litre de blanche (la "Blanche était probablement de la "goutte") ca me fera plaisir ils me la portera je ne vois pas Doschose (d'autre chose) a te mettre pour le momant que de vous soiter (souhaiter - là j'ai reconnu la manière de parler de l'un des frères de ma Grand-Mère. Ils étaient tous Manchois des secteurs de Mortain pour le Grand-Père et Saint-Hilaire du Harcouet pour la Grand-Mère et son frère) ne bonne santé a tous ??? ses ??? de la par (part) de bou (beau) frère qui te sert la main. Louis Martin".


Le texte est illisible. La légende de cette carte indique l'identité du lieu: Saint-Just-en-Chaussée. Il s'agit d'une commune du département de l'Oise. Elle a été envahie en 1914 puis libérée par la victoire de la Marne (source Wikipédia).
Les deux cartes suivantes ont été écrites depuis Roquebrune dans le Var. J'ignore la date et la raison exacte de sa présence à cet endroit. Cependant, je sais qu'il est parti à Salonique après sa participation aux batailles de Verdun et du Chemin des Dames. Alors peut-être était-il présent dans le Sud de la France dans le cadre de son départ pour Salonique? Ce n'est qu'une supposition personnelle. mais dont je n'aurai jamais la réponse.


"Cher parant je resus (j'ai reçu) le colit est (et) lagant (l'argent) met (mais) le colit a falut le jettet au ? mauvet ils fotdra (faudra) natvoyer (n'envoyer) de lagant (argent) on plase ou an voirco pas le bien (là , j'ignore le sens de cette phrase) li bonjour à tous on ne parpat (on ne part pas) de vant (avant - mon oncle utilisait également cette expression) la fin du mois je suit en bon sante votre fils Louis Martin".


"Roquebrune le 30 avril 19--
Cher parant.
De (deux) mot selemant (seulement) pour demander de de l'agant (argent) le pluvite (plus vite) possible vous savet (savez) que savavitte (ça va vite) on vat partire au front du 15 au 20 de mois ess ?? un colit par la postre on pluvite (au plus vite) possible je anvoie (j'envoie) deux mot a gauche de la semaine (au début de la semaine) ess (??) dans le colis ils ne fot l'andouze (il me faut l'andouille - je présume qu'il a demandé ce type de charcuterie très facile à manger dans des conditions dégradées. Par ailleurs, elle devait lui rappeler son "pays"; ce qui, pour son moral ne devait pas être négligeable) panse (pense) que vous est (êtes) bonne sastet (santé) pour moit je me porsbien (je me porte bien - élément très important pour la censure que d'écrire que tout va bien) ces de la par (c'est de la part) de votre fils qui vous soite (souhaite) bien le bonjour on oat ans (cette partie est rayée. Je pense pouvoir traduire on attend) Louis Martin".
Démobilisé en 1919, il est revenu à la vie civile victime de diverses maladies dont la malaria, le paludisme et la grippe espagnole; sans compter que, comme bon nombre de combattants, il a été gazé. Il s'est marié en 1919 ou en 1920. Au terme de cette saisie, je me mets à la place de ses parents qui ont reçu ces cartes; et surement d'autres de même nature. Malgré certaines conclusions rassénérante, ils devaient être en proie aux plus fortes inquiétudes ou divers stress. Le voici avec ma Grand-Mère le jour de leur mariage.

Ils eurent deux enfants dont ma mère. Il a pris un emploi de chauffeur de train. A bord de sa locomotive à vapeur, exposé aux intempéries, il allait dans le tender prendre le charbon afin d'entretenir le foyer de l'engin. Victime de la silicose, il est décédé au mois d'avril 1936; vingt ans avant ma naissance... Au travers des témoignages de ma mère c'est, indirectement, par cette personne que j'ai acquis les valeurs relatives à l'armée et à la défense de mon pays. Lorsque le 11 juin 2007, lors d'une prise d'armes dans la cour d'honneur de la Préfecture des Yvelines, j'ai été décoré de la Médaille d'Honneur des Sapeurs-Pompiers "échelon argent" pour "services exceptionnels", c'est à lui que j'ai pensé. Je me suis dit, qu'avec ma fourragère reçue à titre individuel pour "actes de courage et de dévouement", j'étais le seul de ma famille depuis lui à rapporter une distinction acquise au risque de ma vie.