Mascotte embarquée sur le Bâtiment de Soutien de Région Maritime A774 Chevreuil.
Ce chien de race Basset avait été baptisé Amin.
S’il avait été doué de parole, il aurait pu se vanter d’être le plus ancien du bord.
- Spoiler:
- Jusqu’en 1991 en effet, l’équipage était scindé en deux groupes d’une douzaine de personnes.
Tous les mois, les deux équipages permutaient.
Seule Amin restait à bord.
Au service à la mer, la jeune mascotte dormait sur le fauteuil du commandant.
Si d’aventure le matelot de veille à la passerelle se risquait à vouloir l’en faire dégager pour s’emparer de la place, le chien, se servant de ses pattes, repoussait l’attaque avec force et détermination.
A bord de tout navire de guerre, tout marin sait qu’il est déconseillé de s'asseoir sur le fauteuil du pacha.
Manifestement, la jeune mascotte connaissait parfaitement l’ordonnance concernant cette interdiction et la faisait appliquer, sauf à elle-même, évidemment !
Amin était fou des cailloux qu’on lui lançait.
A terre, rien de plus simple que de lui en envoyer par pelletées.
En mer, il en allait tout autrement.
Qu’à cela ne tienne !
Chaque fois que l’activité autour du bâtiment indiquait qu’un nouvel appareillage se préparait, le chien faisait un nombre incalculable d’allers et retours de la terre au bord.
A chaque vacation, il ramenait des petites pierres qu’il stockait invariablement sous le treuil de remorquage.
A la mer, il se glissait sous ledit treuil et en ressortait les cailloux qu'on lui lançait.
Rompu à ce type d’exercice, il les attrapait en plein vol.
Beaucoup, évidemment, avaient la mauvaise idée de passer par-dessus bord.
Sa cache une fois vidée de son contenu, il fallait à Amin s’armer de patience et attendre une nouvelle escale pour refaire provision.
Si Amin aimait bien ce treuil, ce dernier ne le lui rendait pas.
Chaque passage qu’il y faisait, maculait son pelage d’une graisse compacte peu ragoûtante.
Le rite était alors toujours le même.
La mascotte n’y coupait pas et passait, manu militari, sous la douche.
C’est peu dire qu’elle détestait cela !
A peine séchée, l’œil malicieux et en radar, elle allait illico rendre visite à son cher treuil et se frottait ostensiblement dessus avant de revenir fièrement, couverte de graisse.
A quai, après le dégagé du poste de travail, il ne restait à bord que deux factionnaires.
Leurs rondes de quart achevées, ils allaient se coucher.
Comme à son habitude, Amin squattait sans gêne la chaise de l'officier de garde.
Près de la coupée, une clé était cachée.
Elle permettait aux hommes d'équipage de rentrer à bord du bâtiment.
Le chien le savait parfaitement.
Lorsqu'un matelot se présentait sur le pont, il grognait légèrement puis, le reconnaissant, il le laissait passer.
A contrario, lorsque l’homme qui se présentait était une personne étrangère au bord, Amin se précipitait pour aller réveiller l'officier de garde.
A Toulon, les gendarmes maritimes avaient pour habitude de faire des rondes de sécurité sur le pont du Chevreuil.
Oui mais voilà, Amin veillait !
Ignorant le manège de la mascotte du bord, les gendarmes ne parvenaient pas à s’expliquer pourquoi l'officier de garde venait chaque fois à leur rencontre.
Ils ne le surent d’ailleurs jamais.
A la saison chaude, le Chevreuil partait en mission hydrographique, naviguant aux abords des bouches de Bonifacio.
A l'époque, on pouvait encore aller s’amarrer au fond du port, les pontons à usage des voiliers n’étant pas encore construits. Toutes les nuits, le Chevreuil était amarré à l'entrée du port.
La mascotte en profitait alors pour se rendre à terre.
Ces escapades nocturnes duraient, le chien ne regagnant le bord qu’à l’aube.
Très connu par les habitants pour écumer les rues du port, Amin avait, parmi ses congénères, une foultitude d’amis.
Un matin très tôt, alors que le navire devait appareiller, il n’avait toujours pas rallié le bord.
Comme de coutume, pas question pour le navire de partir sans sa mascotte.
Le commandant fit une annonce sur le diffuseur général, appelant Amin à maintes reprises.
Finalement, la mascotte réapparut et fut hissée à bord.
Pour être proche de la côte, l’annonce par haut-parleurs faite à partir du Chevreuil avait réveillé tout le port de Bonifacio.
Après de bons et loyaux services, selon la formule consacrée, le Chevreuil fut désarmé et retiré du service actif le 31 mars 2010.
Skagerrac.