La Doris commandée par le LV Miguet avait pour mission la surveillance aux abords des ports de l’Algérie , en effet , ce pays entretenait à l’époque des relations privilégiées avec l’URSS .De nombreux petits caboteurs à la cheminée rouge et noire ou avec l’insigne du marteau et la faucille arrivaient de la Mer Noire pour décharger leurs cargaisons dans des petits ports plus ou moins discrets . Nous avions donc à surveiller ce trafic qui avait l’air plus ou moins louche …..
Je prends mon quart de 04H00 à 08H00 comme chef de CO , la veille au soir , nous nous étions éloignés de la côte pour prendre la vacation radio de 23H00 et lancer au schnorchel pour recharger nos batteries . Vers 04H30 , nous mettons le cap sur la côte à petite vitesse , les deux moteurs AV2 ; le Central en profite pour faire sasser les poulaines , histoire de secouer un peu le mécano des auxiliaires et de sortir le bord de la torpeur de la nuit ….
Au CO , tout est calme , pas plus de deux bruiteurs éloignés , on n’entend que le ronronnement des appareils , nous faisons donc route sur le point que le Cdt a désigné dans ses « ordres pour la nuit » en toute tranquillité .
Vers 05H30 , Max l’opérateur sonar me signale un nouveau bruiteur que je reporte sur la table traçante , 3 minutes plus tard , nouvel azimut que je reporte ; lorsque la table traçante est calée sur l’échelle 0,5 nautique /pouce , ce qui est pratiquement toujours le cas , on reporte les bruiteurs toutes les 3 minutes , car les règles de vitesse qui nous servent à positionner les bruiteurs sont graduées de 3 en 3 minutes …. Puis Max annonce :
- Bruiteur disparu !!!
Une bonne dizaine de minutes se passe ….
- Top !!! le revoilà !!! annonce Max .
Il s’est décalé de quelques degrés en azimut ….. je vérifie sur le GCO2 en veille rapide : effectivement , il apparait quelques minutes ….disparait ….et réapparait ….
Je reporte le nouvel azimut en attendant le prochain pour essayer de calculer sa route ou sa distance en adoptant une vitesse crédible … En 10 minutes , j’ai trois azimuts ; je devrais pouvoir en tirer quelque-chose !!!
- Il a redisparu !!! annonce Max ….
Avec les quelques azimuts en ma possession , j’essaye de le positionner avec mes règles de vitesses , mais je n’arrive pas à en tirer quoi que ce soit de réaliste : impossible de le situer .
Quelque temps plus tard :
- Le revoilà !!! il s’est renforcé !!! oh putain !!! il fait un drôle de bruit !!!
Je prends le casque du GCO2 veille rapide et je me pointe sur l’azimut que me donne Max : drôle de bruiteur en effet !!! je n’en ai jamais entendu de pareil !!! J’étais pourtant « écouteur d’élite » comme on disait à l’époque , mais ce bruit là m’était tout à fait inconnu : il siffle un peu comme une torpille et cavite beaucoup ; pourtant , ce n’est pas un bruit de torpille . L’Officier de quart y va de son oreille lui aussi , mais la moue qu’il fait en dit long sur sa certitude ….
- Qu’en pensez-vous ??? me demande-t-il …
- Je n’en pense pas plus que vous !!! ça ressemble à une torpille , mais ce n’en est pas une à mon humble avis …..
- Il a disparu !!! annonce Max …
Plutôt bizarre ce bruiteur qui s’arrête , repart , s’arrête …. Est-ce qu’il écoute pendant ses arrêts ??? ça , on n’en sait rien !!!!
L’Officier de quart va « prévenir » le Cdt qui se « repose » . Il arrive au CO où nous lui expliquons la situation , il s’enquiert de la situation de surface : tout est clair à part ce foutu bruiteur qui pour l’instant a disparu …
- Bien !!! on va attendre qu’il se manifeste !!! décide le Cdt …
Quelques instants plus tard :
- Le revoilà !!! il défile dans l’autre sens !!! annonce Max ..
le Cdt coiffe le casque du GCO2 et écoute lui aussi :
- On dirait bien une torpille !!! conclue-t-il …en tout cas , ça y ressemble !!!
- Aux postes de combat !!! déclare-t-il …
Le pilou- pilou retentit dans le bord réveillant l’équipage en sursaut ; chacun rallie son poste ; certains vont de l’AR à l’AV ; d’autres de l’AV à l’AR créant une petite pagaille qui ne dure que quelques instants … Tous les appareils du CO sont démarrés et la Direction de Lancement de Torpilles est mise sur combat …
- Complet aux postes de combat !!! annonce le Central …
- Bien !!! 40 mètres !!! ordonne le Cdt et il s’installe sur le siège du périscope d’attaque .
Assis sur son siège , il a une vue plongeante sur la table traçante et peut voir les écrans des GCO2 . Le silence s’est installé au CO , tout le monde est concentré sur son job , pas de paroles inutiles , on ne parle pas pour ne rien dire , la tension est presque palpable : nous savons que nous avons devant nous quelque-chose que nous ne connaissons pas ; est-ce une nouvelle arme inconnue ??? est-ce un nouveau système de détection ??? est-ce autre chose ??? personne n’en sait rien !!!!!
Radio coursives a bien fonctionné ; l’équipage tiré de son sommeil par le pilou-pilou à une heure indue sait maintenant que nous sommes confrontés à une situation qui n’est pas très enviable : on ne sait pas ce qu’il y a en face de nous ; et ce quelque-chose a-t-il des intentions belliqueuses ou non ????
- Il a disparu !!!! annonce l’opérateur sonar ….
- Dès qu’il réapparait et si il défile , on reprend la vue !!! décide le Cdt
un quart d’heure , vingt minutes plus tard ….
- Le revoilà !!! annonce le sonar AV …
On attend un peu pour voir son défilement ….
- Il défile toujours gauche !!!
- Bien !!! moteurs AV3 !!! 12 mètres !!! ordonne le Cdt
On remonte en assiette +10 …
- Top la vue !!! le Cdt effectue son tour d’horizon de sécurité ….
- Tour d’horizon effectué !!! annonce l’Officier en Second ….
- Rien à la vue !!! répond le Cdt .Amenez-moi sur le bruiteur !!! demande-t-il …
L’O2 guide le périscope sur l’azimut : Top par là !!!!
- Rien à la vue !!!
Le Cdt hisse le périscope un peu plus haut …
- Top !!! il y a quelque chose !!!
Il hisse le périscope encore un peu plus haut ….et part d’un immense éclat de rire qui se transforme bientôt en fou-rire . Il rigole tellement qu’il ne peut pas nous dire ce qu’il voit , il en pleurerait presque !!!
Tout le monde au CO le regarde d’un air interrogateur : le Cdt est devenu fou ou quoi ??? Enfin, quand il peut articuler : - Ce n’est qu’un malheureux pêcheur !!! s’exclame-t-il …
Ce que nous avions pris pour un bruiteur pour le moins inquiétant n’était en fait qu’un pêcheur dont la barcasse était équipée d’un puissant moteur hors-bord , il allait d’un point à l’autre et s’arrêtait pour relever ses lignes ou ses palangres . Bien entendu , on ne rencontre pas ce genre de barcasse en haute mer ; ce qui explique que nous n’avions jamais entendu ce genre d’individu !!!
- Rompre du poste de combat !!!
Les gars repartent faire dormir les yeux pour une petite heure …
Mais dans la matinée , les oreilles des gars du CO en ont entendu de toutes les couleurs !!! Vous ne vous rendez pas compte !!! mettre un sous-marin aux postes de combat pour un malheureux pescadou et surtout perturber leur sacro-saint sommeil !!! Le Cdt lui aussi nous regardait d’un air que je qualifierais de goguenard !!!
Enfin tout est bien qui finit bien …. Mais nous en avons pris pour notre grade !!!!!

En cette fin de matinée , la Diane à sa sortie du bassin vient s’amarrer à Missiessy juste devant le Bâtiment Commandement ; ainsi , « l’ami de personne » pourra-t-il nous surveiller de plus près , ce qui ne va pas faire l’affaire des factionnaires qui risquent de recevoir des coups de téléphone dévastateurs ….
Fin du poste de manœuvre , on vaque à nos occupations : embarquement de gas-oil pour les mécanos , continuer les travaux d’entretien , ranger et arrimer le matériel , et surtout nettoyer notre bateau , car les « Jobs » nous ont mis un joyeux b****l pendant notre passage au bassin . En fin d’après-midi , embarquement de gas-oil terminé , la Flore qui était amarrée à un ponton face à l’AMT ( Atelier Militaire des Torpilles ) vient prendre le poste devant nous , nous fermons les panneaux et donnons un coup de main pour son amarrage … Il est prévu que le lendemain , les deux bateaux embarquent des torpilles : torpilles d’exercice pour la Flore ; exercice et combat pour nous . Les torpilles de combat arriveront de la Pyrotechnie transportées par chaland ….
Le lendemain matin , après l’appel de 08H00 , nous démontons le poste AV : tables , banquettes , plaques de parquet , tout ce qui nous gêne est viré sur le quai . Glissières , berceaux et palans sont mis à poste , les RP (refouloir pneumatique qui pousse la torpille hors du tube lors du lancement ) sur deux écrous , le mât et le berceau d’embarquement ainsi que le guindeau sont mis en place ….
A 09H00 pétantes , nous sommes parés , le grutier est à son poste , nous attendons la première grenouille …. Notre équipe est très bien rodée , chacun sait ce qu’il doit faire , pas besoin de parler pour ne rien dire au poste AV … Jacquesse le Patron torpilleur , debout dans le réduit des lavabos , commande palans et guindeau et donne ses ordres au cas où .
Pour ma part , je m’occupe du branchement de la torpille sur la porte culasse du tube : opération très délicate , car elle conditionne l’isolement de la torpille quand le tube sera mis en eau ; si l’opération est mal faite : isolement mauvais … torpille à ressortir avec les compliments du jury …. Je mets en place le couteau ( qui coupe le cable de la torpille quand elle est expulsée du tube ) et retire le joug qui entrave les hélices , et enfin je guide la remise en place du RP sur deux écrous … les autres écrous ainsi que le biberonnage ( charge d’entretien de la batterie de la torpille ) seront mis en place à la mise en eau des tubes , embarquement terminé …..
Sans problème , nous mettons une torpille au tube toutes les 20-25 minutes maximum . Bien que l’embarquement aux tubes AR pour les torpilles courtes soit un peu plus compliqué , nous n’aurons pas d’heures sup à effectuer ….
La première torpille d’exercice arrive de l’AMT , cet atelier est situé sur le quai perpendiculaire au nôtre à 300-400 mètres de notre poste d’amarrage . Elle est sanglée sur un chariot de transport tracté par un Fenwick dont la conduite a été confiée au célèbre « Building » . Building !!! ce surnom lui va comme un gant !!! le personnage est doté d’une stature imposante , je dirais même plus qu’imposante : il dépasse largement le quintal sur la balance , mais sa gentillesse et son envie de rendre service sont proportionnelles à sa corpulence , toujours de bonne humeur et la mine radieuse … un bon gros !!! une bonne pâte ….
- Salut Patron !!! elle est pour vous !!! me lance-t-il avec un grand sourire en dételant son chariot …
- Merci mon garçon !!!
Il repart dare-dare à l’AMT chercher la suivante pour la Flore . Mais l’AMT , c’est comme l’administration : il ne faut pas les bousculer … elle fait traîner les choses . Quand enfin il revient , il se fait houspiller par les gars de la Flore …. Il dételle le chariot portant la torpille et repart avec celui que nous avons libéré .
Notre première torpille est dans le tube , porte verrouillée et RP à poste , nous attendons la seconde depuis cinq bonnes minutes , elle arrive enfin et le pauvre garçon se fait carrément agresser par nos gars sur le pont :
- Hé le gros !!!va falloir te manier le c.l !!! on va pas passer notre vie à t’attendre !!! on a autre chose à faire !!!
- C’est pas ma faute !!! implore-t-il … C’est l’AMT qui ne se bouge pas !!!
- On s’en branle !!! tu n’as qu’à les secouer ces fonctionnaires !!!
Il repart pour un autre tour tractant un chariot vide , lorsqu’il revient avec la deuxième torpille de la Flore , il est dans les temps , ils n’ont pas attendu longtemps … Il attelle le chariot vide et redémarre plein pot , pied au plancher vers l’AMT .
Notre deuxième torpille est au tube , on attend la troisième , mais elle n’arrive pas !!! Nous en profitons pour monter sur le pont fumer un tabac … A l’angle du quai vers l’AMT , nous apercevons un groupe de cinq ou six personnes . La torpille n’arrivant pas , nous allons aux nouvelles par curiosité et nous nous dirigeons vers ce groupe d’où s’échappent de grands éclats de rire ….. En arrivant près du groupe , nous remarquons des bulles d’air qui remontent en surface …..
- Il y a un plongeur là-dessous ???
- Non !!! c’est le fenwick de Building !!!
Grand éclat de rire ….
- Arrêtez vos conneries !!! que c’est-il passé ???
Le factionnaire du 400 tonnes amarré au ponton juste à côté s’amusait à observer les pointes de vitesse de Building , il a assisté à toute la scène :
Building conduisait à fond la caisse juste au bord du quai pour rattraper son retard , il a vu le convoi faire un « à gauche toute » et plonger dans la darse : tout a disparu sous la surface , puis Building a émergé en se débattant comme un beau diable tout en gueulant au secours , car comme de bien entendu , il savait à peine nager !!!
Lui ayant balancé la bouée couronne que tous les bateaux ont accrochée à la rambarde de la cathédrale , le factionnaire se saisit d’un lance-amarre dans un panier à aussières et vole à son secours en rameutant le voisinage pur obtenir de l’aide … Avec son lance-amarre , il ne peut que maintenir Building en surface , vu le poids de « la bête » il ne peut le hisser sur le quai .
Le salut viendra de l’AMT , avec une sangle , le naufragé est ramené à l’angle des quais , et les cinq ou six bonshommes accourus et morts de rire le sortent de la fange dans laquelle il patauge : on sait bien que tous les résidus de gas-oil , de fuel et toutes sortes de saloperies s’accumulent et stagnent dans les angles de quai . Building tout dégoulinant et plein d’aplomb affirme que tout cela n’est pas trop grave , car il a eu le réflexe de couper le contact !!! Il s’inquiète beaucoup plus pour son bachi qui ne réapparaît nulle part !!!
L’urgence est de récupérer le matériel !!! « le Papou » ( John originaire de Tahiti )arrive revêtu de sa tenue de plongée ; bouteilles sur le dos , palmes et masque à la main ; il est accompagné d’un autre plongeur , ils vont descendre faire une reconnaissance en attendant l’arrivée d’une grue automotrice et surtout … récupérer le bachi de Building !!!
Un nouveau Fenwick est affrété , un nouveau conducteur prend les choses en main avec consigne de « lever le pied » et les livraisons de torpilles reprennent … Nous rejoignons nos bateaux pour continuer le travail ….
Nous ne pourrons donc assister au repêchage du convoi effectué en présence des Hautes Autorités de la Base et des nombreux spectateurs avertis par le « téléphone arabe » qui fonctionnait à cette époque aussi bien sinon mieux que les Iphones et Smartphones actuels . Je n’ai pas eu connaissance de la suite des évènements : nous étions repartis en mer . Je suppose que Building devenu une figure de Missiessy grâce à cet exploit a eu droit à une séance de trapèze dans le bureau de notre cher Titus notre Officier de détail bien aimé dont les Anciens se souviennent avec nostalgie ….. Titus ???? un poème !!!!!!!

En cette fin d’année 1968 , pendant la période des fêtes de fin d’année , la Doris est en DISAC au sec dans un des petits bassins Vauban pour une sombre histoire de ligne d’arbre qui « chante » il va falloir vérifier presse-étoupes , butées , paliers , gaillac etc…etc… on en profitera pour vérifier une soute à gas-oil : on soupçonne une fissure entre la soute et le ballast 2 . Voilà donc de quoi occuper les mécanos et les Jobs de l’arsenal …..
Le lendemain de la mise au sec , une moitié de l’équipage doit partir en permission , l’autre moitié restant à bord marchera donc par bordées comme d’habitude . Mais notre Officier en Second , en bon père de famille , a négocié auprès de Missiessy le prêt d’une escouade d’Appelés pour remplacer les permissionnaires . Aucune difficulté , Missiessy s’empresse d’accèder à la demande , on comprendra vite pourquoi !!! Nous allons donc assurer le service à bord par tiers . Les Appelés seront employés comme factionnaires ainsi que pour les travaux de nettoyage et de peinture du bord . Les rondes de sécurité seront effectuées par les gars de l’équipage ….
Voilà donc cet équipage de fortune qui embarque … une armée de Bourbaqui !!!! composée uniquement de garçons originaires de Nouvelle Calédonie : Caldoches et Kanaks . Certains d’entre-eux arrachés de leur tribu par la conscription se retrouvent du jour au lendemain dans une « autre civilisation » Ils sont particulièrement allergiques à la « vie militaire » et ses contraintes et font tout ce qu’ils peuvent pour nous compliquer la vie . Pourtant dans la sous-marinade , la discipline ………… Ils ne voient pas l’utilité d’un factionnaire : le sous-marin ne risque pas de se sauver puisqu’il est au sec !!!! et en plus , la porte du bassin est fermée !!! Le « Pilaf » notre Patron du pont s’empresse de ramasser le pétard du factionnaire dans le coffre fort du Commandant et le remplace par une matraque en bois qu’il a dégottée je ne sais où !!! prudence est mère de sureté !!!!
De ces marins d’occasion , l’un d’entre-eux se distingue particulièrement : un Kanak ; un hercule , une force de la nature aussi haut que large , un faciès à faire peur , preuve que l’homme descend de celui qui descend de l’arbre ; des bras gros comme des cuisses , les mains : de véritables battoirs . Pour un peu , la capote du factionnaire lui servirait de soutien-gorge à manches longues !!! de plus , malgré son physique impressionnant , il avait dû être resté coincé derrière la porte le jour de la distribution : il n’avait pas la lumière à tous les étages , et il roulait quelquefois sur les jantes !!!
En temps que Maître de service , je récupère cet individu dans mon tiers de service . Nous sommes en hiver et il fait froid !!! très froid !!! un froid à ne pas mettre un marin dehors !!! Le mistral qui souffle force 8 à 9 vous transperce les os et renforce la sensation de froid ; personne ne traîne sur les quais . A part le factionnaire qui se planque en haut de la cathédrale , revêtu de sa capote fourrée , emmitouflé dans une couverture , personne ne glande sur le pont … Dans le bord , à l’intérieur , la température oscille entre 3 et 4 degrés . Nous sommes tous frigorifiés ….
La DCAN , soucieuse du bien-être de ses hommes qui travaillent à bord , a installé une roulotte sur le quai : une machine à air chaud !!! Cet ancêtre du chauffage électrique : 1er prix du concours Lépine en 1912 !!! est reliée au bateau par des manches en toile par lesquelles elle et supposée nous pulser de l’air chaud . 1er essai : concluant pendant cinq minutes : la température remonte dans le bord ; puis , l’air chaud est remplacé par de l’air glacé : chauffage en avarie …Réparation effectuée par du personnel compétent ; 2eme essai : ça chauffe pendant dix minute nous redonnant espoir . Soudain , le bord se trouve plongé dans une épaisse fumée qui arrive plein pot par les manches en toile : évacuation du bord ; la roulotte est en train de cramer sur le quai !!! Intervention des « Jobs » et relégation de l’engin au fond d’un hangar où il finira de pourrir . Notre ventilation que j’avais fait stopper est redémarrée et la fumée évacuée en peu de temps . L’O2 et le Cipié prévenus de l’incident arrivent de Missiessy , je leur rend compte des péripéties et tout le monde descend à bord malgré quelques relents de cramé , mais au moins , nous sommes à l’abri du vent !!!
Au dégagé de 17H00 , personne ne traîne avec ce froid , la pigoulière qui effectue le trajet Vauban-Missiessy est prise d’assaut et à bord , nous retrouvons le calme dans la froidure ….Les gars grimpent dans leurs bannettes en attendant le dîner , enfouis sous trois ou quatre couvertures . Vers 18H00 , le dîner arrive par le junker : il est rapidement avalé pour retourner se mettre au chaud dans les bannettes . La soirée se passe tant bien que mal en regardant la télé , puis …. Extinction des feux … Nous avons du mal à nous endormir avec ce froid , bien que nous soyons couchés tout habillés sous les couvrantes ….
Vers deux heures du matin , je suis violemment secoué par un individu qui me braque le faisceau de sa lampe torche dans les yeux : L’Officier de garde !!!!!
- Patron !!! où est votre factionnaire ????
- Quoi ???
- Où est votre factionnaire ???
- Ben … sans doute sur le pont ou à la passerelle !!!
- Il n’y a personne sur le pont ni à la passerelle !!!
- Bon !!! j’arrive !!!
Je sors de ma bannette bien chaude et suis saisi par le froid …. Je capelle blouson et bonnet de mer et au Central , je consulte le cahier de ronde et de quart : normalement , c’est ce fameux garçon dont je vous ai parlé qui doit être de faction . A la passerelle : personne !!! sur le pont : personne !!! Le vent souffle en tempête toujours aussi glacial .
- Espérons qu’il n’est pas tombé au fond du bassin !!!
- Descendons voir !!! propose l’Officier de garde …
Dans la pénombre , éclairés par nos lampes torches , nous descendons les marches glissantes en prenant mille précautions pour ne pas chuter . Au fond du bassin , en évitant les flaques d’eau , nous vérifions entre chaque tin …. Personne !!! Nous remontons sur le quai , scrutons l’eau le long de la porte du bassin : on n’y voit goutte ni personne …..
Je redescend à bord réveiller mon adjoint et les gars au poste AV , ceux-ci rechignent à se lever et je dois pousser quelques gueulantes pour les déloger de leurs bannettes . L’Officier de garde a appelé le BSI de Missiessy pour leur demander de vérifier que le gugusse n’est pas dans sa chambrée ; on ne sait jamais avec ces lascars …..
Rassemblés sur le quai , nous nous scindons en deux équipes pour inspecter les deux côtés du bassin : une équipe emmenée par l’Officier de garde et l’autre par moi-même . A cette époque , les abords des bassins Vauban ne respiraient pas l’ordre et la propreté !!! on y trouvait de tout !!!des tas de madriers entassés en vrac n’importe comment … des tas de ferrailles ….des tas de palettes …des vieilles bâches qui traînaient un peu partout , des amas de briquettes et des tas de charbon qui devaient dater de la dernière guerre !!!! Un capharnaüm pas possible !!! il nous faut chercher dans tout ce fatras !!!
Chaque équipe fouille de son côté et nous nous retrouvons au bout du bassin : nous n’avons rien trouvé !!! Nous permutons de quai et recommençons la fouille …. Arrivés à mi-quai , des cris viennent de l’autre équipe :
- Patron !!! Patron !!! il est là !!! on l’a trouvé !!!
Nous nous précipitons sur le quai opposé pour y découvrir un spectacle qui me donne une irrésistible envie de rire malgré ma colère : le bonhomme est couché sur un tas de charbon , protégé du froid par une vieille bâche sous laquelle il s’est glissé !!! dans la lumière des torches , on ne voit que deux gros yeux blancs qui ressortent sur ce fond noir !!! Quel tableau !!!! l‘Officier de garde essaye de le faire sortir de sa cachette où il est bien à l’abri du vent :
- Allons !!! sortez de là !!! Allons !!! Allons !!! Sortez !!!
M’apercevant , le pauvre garçon implore :
- Patwon !!! Patwon !!! je vais mouwi , je vais mouwi !!!
- Mais non imbécile !!! tu ne vas pas mourir !!! allez sort de là !!!!
- Je vais mouwi Patron !!!je vais mouwi !!!j’ai fwoi !!! j’ai fwoi !!! pitié Patwon !!!
- Tu sors de là nom de di.u !!! ou ça va barder !!!
Le pauvre bougre obtempère et nous redescendons tous au poste AV . Nous avions bien inspecté ce tas de charbon et de briquettes , mais pas du côté sous le vent où il avait trouvé refuge … Avec l’accord de l’Officier de garde , je réorganise les tours de garde pour le restant de la nuit : une heure de garde par bonhomme sera supportable par ce froid .
Le lendemain , à l’appel de 08H00 , je rends compte à L’Officier en Second des évènements de la nuit ; il est au courant , l’Officier de garde l’ayant contacté . Le pauvre gugusse sera mis sur la peau de bouc par l’Officier de garde en personne , trop heureux d’avoir pu coincer un factionnaire en infraction !!!
La suite des évènements nous a été racontée par les fils du « Bidel » ( Capitaine d’armes )
Convoqué le matin même dans le bureau du Bidel , le pauvre type accompagné par son adjudant de companie se fait sérieusement engueuler et menacer de quelques jours de prison . La prison représentant pour lui le châtiment suprême ; le garçon pète les plombs et disjoncte complètement : il agrippe le Bidel par sa cravate , le soulève de son fauteuil et lui administre une baffe monumentale à lui dévisser la tête !!! Hurlements dans le bureau qui font accourir le personnel du BSI à la rescousse : il faut six ou sept bonshommes pour maîtriser l’individu et le ramener au calme non sans mal !!! Devant ce crime de lèse-majesté , il est transféré en comparution immédiate dans le bureau de notre cher CSI ( beaucoup d’Anciens se souviennent de lui ) pour y être jugé et puni comme il se doit : Titus a capelé sa casquette de « cinq panaché » pour paraitre plus impressionnant derrière son bureau , compensant ainsi sa petite taille ….
- Vous avez frappé un Officier Marinier !!! Comment avez-vous fait !!! gronde-t-il ….
- Comme ça !!! Répond le malotru …. Et avant que quiconque ne puisse intervenir , il chope Titus par la cravate , le soulève de son siège , et vlan !!!il lui colle une baffe qui fait voler la casquette au fond du bureau … Il relâche Titus qui retombe abasourdi dans son fauteuil , le visage écarlate et suffocant d’indignation !!!!
Les fils de Bidel ressautent pour la deuxième fois sur le rigolo ayant toutes les peines du monde à maîtriser cette force de la nature ….Cette fois , les Flicmars sont appelés en renfort et escortent manu militari le pauvre bougre dans le service spécialisé de l’Hôpital Ste Anne que nécessite son cas . Trois semaines plus tard , sorti de psychiatrie , il retrouvera les plages et les cocotiers de son ile natale , bien loin de toutes les turpitudes de la vie militaire …..
Certains de ses petits copains voyant ainsi un bon moyen de retourner à la maison plus vite que prévu essayèrent de jouer au mariole …. Il leur fut fortement déconseillé de jouer à ce petit jeu sous peine de se voir affectés dans une unité beaucoup moins cool que Missiessy …. Les fusiliers marins par exemple …….

Cet exercice se passait de nuit et était effectué par des nageurs de combat , il était réalisé à la fin de leur cours de brevet supérieur , et consistait à infiltrer la rade et les darses pour aller poser des mines magnétiques sous les coques des différents bateaux présents .
Les sous-marins étaient particulièrement visés , ils étaient des cibles de choix !!!!
Pour nous défendre , nous n’avions que peu de moyens : mettre nos deux GCO2 en veille ainsi que le TSUG , cela nous permettait d’écouter les bruits sous l’eau ( les nageurs étaient équipés d’oxygers , donc pas de bulles en surface ) et la solution miracle : une caisse d’une vingtaine de grenades d’exercice fournies par la bidellerie de la base .
L’exercice commençait vers 21H00 pour se terminer vers 04H00 ou 05H00 du matin ; tout mouvement sur rade était strictement interdit , sauf pour les zodiacs de sécurité .
Il fallait donc pourvoir au casse-croûte pour le tiers de service ; casse-croûte généralement bien garni . Nous étions à quai à Missiessy , amarrés devant le bâtiment Commandement et devant nous était amarrée la Junon .
Etant jeune second-maître , j’étais l’adjoint de Nénesse le Maître de service : un vieux de la vieille ….
L’exercice commençant vers 21H00 , nous n’attendons pas les nageurs avant 22H00 22H30 ,car il leur faut traverser la rade abri à la nage à partir de St Mandrier où se trouve l’école de plongée . A 22H30 , on envoie deux veilleurs au CO pour s’occuper des appareils d’écoute …. Vers minuit , des bruits douteux nous sont signalés par le CO , un de nos hommes envoie deux grenades sur l’arrière …. La Junon envoie deux grenades elle aussi … Puis on n’entend plus rien … Les heures passent …. Les gars commençaient à trouver le temps long …. Vers 02H00 du matin , une grenade explose sur notre plage avant , et on aperçoit un gars de la Junon courir pour se planquer derrière sa cathédrale …. Plein de plâtre sur notre plage avant !!!! Réplique immédiate de nos hommes qui balancent deux grenades … et c’est le début d’une furieuse bataille à coups de grenades qui démarre …
Les ponts des deux bateaux étaient couverts de plâtre , lorsqu’une grenade lancée par un de nos bonshommes atterrit dans la baignoire de la Junon et va judicieusement exploser dans l’abri de navigation tout près du panneau supérieur du sas . Le courant d’air dû à la ventilation passe par ce panneau et entraîne donc le plâtre dans le sas et le propulse jusqu’au Central !!! Voilà leur sas et leur Central refaits à neuf !!! et la bagarre continue jusqu’à épuisement des munitions …
Le Maître de service de la Junon siffle la fin des hostilités et rappelle ses hommes au poste de propreté , laissant son factionnaire sur le pont .
Quant à nous , nous étions restés plage avant , soupçonnant des mesures de rétorsion . Au bout d’une demi-heure , le factionnaire de la Junon descend sur le quai et se dirige tranquillement vers notre coupée , ayant l’air de flâner , les deux mains derrière le dos , avec un air de Sainte Nitouche …. Il était à deux mètres de notre coupée quand un de nos hommes s’aperçoit du stratagème et donne l’alerte !!!
Trois d’entre-nous lui donnent la chasse , parviennent à le ceinturer et le délestent de sa charge : un paquet de farine !!! (était-ce le début des missions suicide ??? ) Pendant que deux bonshommes ceinturent le malotru , le troisième monte sur le pont de la Junon, grimpe en haut de la cathédrale , pendant que le factionnaire sérieusement maintenu hurlait tout ce qu’il pouvait pour alerter ses copains …..
Ceux-ci n’entendaient rien bien sûr , sauf notre homme qui les apostrophe du haut du sas :
- Eh les gars !!! comment a va ???
- Ca va !!! on a presque fini !!!
- Impeccable !!! Attention dessous !!!
Et il leur balance le contenu du paquet de farine du haut du sas !!!!
Le factionnaire libéré , nous opérons un repli stratégique : nous montons tous dans la baignoire en ayant pris soin de bien verrouiller la porte de la cathédrale . Nous étions tous assis là-haut à rigoler comme des pendus du bon tour qu’on leur avait joué , lorsqu’une pluie de projectiles nous tombe dessus !!!!
Des œufs frais !!!!! Ah les vaches !!!!
On se réfugie dans l’abri de navigation , et l’avalanche terminée , on sort le nez dehors …Imaginez le spectacle :le plâtre mélangé avec les œufs qui dégoulinent de partout !!!
La paix fut âprement négociée et la rigolade se transforma en poste de lavage général !!!
Lances à incendie sorties , il s’en est fallu de peu pour que les hostilités reprennent , mais il fallait que nos bateaux soient propres pour l’appel du matin !!!
A l’appel , justement les Officiers en Second se demandaient pourquoi le quai et les bateaux étaient si propres … Ils ont sût pourquoi en voyant ce qui flottait à la surface de l’eau …. Rien à dire …. Tout était propre et net !!!
Ce genre d’exercice s’est répété assez souvent et nous permettait de bien rigoler de temps en temps !!!!!!!