Cet officier –c’est le plus ancien de ceux qui restent- prend le commandement. Il crie : « c’est moi qui commande »
Les marins sont évacués des fonds. L’équipage se rassemble en ordre parfait, rangé comme pour une inspection, sur les ponts du milieu et arrière. Courage, discipline, éducation ?... Un peu de tout cela. « On se vengera » disent-ils.
Des équipes saisissent les extincteurs pour noyer les soutes arrière, mais les commandes sont faussées ; d’autres dégagent les blessés.
L’unique baleinière armée en un temps record, est mise à l’eau, des marins s’installent et se mettent à ramer en ordre, pour aller sauver leurs camarades projetés en mer par l’explosion et qui se débattent dans eau visqueuse.
Tout ce qui peut flotter est je té à la mer : brassières de sauvetage, radeaux, tout ce qui est en bois.
Le BISON court sur son erre ; dans son sillage s’étend une énorme nappe de mazout où flotte tout ce matériel.
L’EL KANTARA veut aller à son secours. Le DEVONSHIRE le rappelle : « reprenez votre poste, j’ai des torpilleurs ».
L’aumônier de la 1re DCX à bord de l’EL DJEZAIR bénit les victimes.
Le MONTCALM se précipite sur les lieux, passe à cent mètres du point du sinistre, mais ne s’attarde pas, car il ne veut pas abandonner la protection du convoi. Il rend à son camarade de combat les derniers honneurs et s’éloigne pour rejoindre son poste.
Les blessés sont ramenés à bord, sur la plage arrière, où le médecin s’active à les soigner avec beaucoup de sang-froid.
Le destroyer GRENADE arrive pour embarquer les rescapés ; le BISON est très incliné. L’évacuation d’un grand nombre de blessés semble longue .HMS GRENADE manque son accostage... Il ne peut plus pleinement utiliser son artillerie de DCA et devient une cible facile, d’autant que les bombardiers continuent à lancer leurs engins. Une bombe vient de tomber à 50 m de l’épave.
L’AFRIDI demande à l’amiral CUNNINGHAM la permission de rejoindre le groupe BISON/GRENADE afin de le protéger contre de nouvelles attaques aériennes.
Mais, ne voulant pas rester à l’écart, il accoste le bord libre, place une passerelle pour participer au sauvetage des survivants, dans l’ordre : les blessés, l’équipage, les officiers. Il arrose avec des manches à incendie, les munitions qui brûlent. L’évacuation est difficile à cause de la bande prise par le BISON et il faut faire vite, car l’incendie se propage de l’avant vers l’arrière et menace une soute à munitions. La peinture de l’AFRIDI prend feu. Il se dégage au plus vite.
L’IMPERIAL arrive à son tour et participe au sauvetage. Les marins du BISON qui restent encore à bord commencent, sur ordre, à sauter à l’eau, s’accrochent aux moyens de fortune qui flottent : ils sont noirs de mazout.
Le LV OUDIN comme il se doit saute le dernier.
La mer est heureusement calme.
Les embarcations des destroyers repêchent les rescapés. Mais le mazout prend feu, ce qui rend effroyable la situation des hommes dans l’eau. Nombreux sont atteints de brûlures. C’est la chose la plus atroce qu’on peut imaginer.
Belle et courageuse activité des marins anglais
Et pendant ces épreuves, le bombardement continue : on compte 39 Messerschmitt.
10 H 20 Fin de l’attaque aérienne. La DCA se tait.
11 H le DEVONSHIRE envoie le message : « feu violent dû à l’explosion magasin BISON »
11 H 30 Le MONTCALM signale «Sillage par le tribord de l’EL KANTARA »
L’Amiral DERRIEN demande à l’amiral CUNNINGHAM de donner l’ordre à un de ses destroyers de couler l’épave du BISON que l’on ne peut remorquer et qui persiste à flotter. L’Amiral s’adresse à l’AFRIDI qui recueille les derniers survivants : « Coulez l’épave du BISON »
12 H 7 quelques coups de canon… c’est chose faite. Le BISON s’enfonce lentement, Pavillon haut. Il ne reste plus sur la mer que le mazout qui continue à brûler et des épaves flottantes.
Quelques-uns des blessés et rescapés sont à bord du HMS GRENADE, de l’IMPERIAL, mais la plupart sur l’AFRIDI où les blessés sont soignés, les valides baignés, habillés réconfortés. Ils se regroupent à l’arrière. Sur les 264 membres d’équipage ils ne sont plus que 120, dont certains grièvement blessés
pendant ce temps le convoi file sans s’arrêter. Il zigzague, accélère l’allure, les bâtiments augmentant les distances et les intervalles.
L’AFRIDI, qui ne voit plus de naufragé à la surface des eaux, rejoint le convoi pour reprendre sa mission de protection.
Attardé il chasse à vive allure.
13 H 52 le ciel vibre à nouveau : des bombardiers reviennent à l’assaut. Ils ne sont que trois Messerschmitt, c’est déjà trop. Deux d’entre eux, d’assez haut, lâchent leurs bombes sur le croiseur auxiliaire CARLISLE, sans d’ailleurs l’atteindre.
Le troisième amorce une attaque en semi-piqué sur l’AFRIDI qui s’approchait du MONTCALM.
La bombe tombe, touche le destroyer à l’avant, près de sa première cheminée et explose le mât est brisé, la tôle de la coque avant est retroussée vers l’arrière.
Une immense flamme s’élève, des jets de vapeur fusent de toute part. L’AFRIDI, blessé à mort, penche, abat en grand sur bâbord.
Le GRIFFIN et l’IMPERIAL se portent immédiatement à son secours, s’amarrent de chaque côté pour essayer de le soutenir.
Ils embarquent au plus vite les blessés, les rescapés du BISON, les 210 officiers et membres d’équipage de l’AFRIDI et ceux qui, au départ de Namsos, étaient montés à son bord : les rescapés du BITTERN coulé à Namsos, le 30 avril, les capitaines et midships de cinq chalutiers bombardés dans le Namsenfjord, les officiers anglais de la base maritime et les retardataires embarqués au dernier moment.
L’AFRIDI s’enfonce lentement. Les deux torpilleurs larguent les filins et s’éloignent au plus vite pour rejoindre le convoi.
14 H 45 L’AFRIDI disparaît dans les flots.
15 H 12 bombardiers reviennent… vraiment cela ne finira jamais. Ils en veulent cette fois au GRIFFIN qui est un peu à l’arrière. Il a à son bord 400 rescapés. Le destroyer se défend. À toute vitesse, il vire, revire, disparaît entre les gerbes qui le touchent à 20, 50 mètres et l’inondent de trombes d’eau. Ses pièces crachent un feu d’enfer.
Le LV OUDIN et deux officiers de chalutier participent à la défense ; ils font la chaîne pour passer les douilles.
Les avions s'éloignent enfin sans avoir obtenu de résultat.
15 H 30 Le GRIFFIN pouvait transmettre un court message « No hits »
(le journal de bord de l’EL DJEZAIR mentionne au moins 55 attaques par plus de 40 bombardiers entre 10 H et 15 H 30...)
19 H 13 Le DEVONSHIRE envoie un message au MONTCALM « je reçois de l’IMPERIAL le message suivant : Je demande instructions pour savoir si le CC GIRAUD du BISON, mort, doit être immergé ? »
C’est en effet la coutume de la Navy d’immerger les marins morts en mer, enveloppés dans de la toile à voile, avec un obus d’exercice aux pieds... Le MONTCALM répond : « votre message de 19 H 13 – immergez s’il vous plait »
L’amiral CUNNINGHAM passe un message à tous les bâtiments :
« Mettre les couleurs en berne à 21 H 45, en mémoire des marins morts pendant la journée ». C’est le moment où le CC GIRAUD doit être immergé.
Sur toutes les unités, à l’heure dite, les pavillons descendent aux drisses aux deux tiers de la hauteur réglementaire. Les bâtiments anglais mettent le pavillon français sous le pavillon britannique. Chacun se découvre.
22 H la cérémonie est terminée le convoi fait route sur Scapa Flow.
samedi 4 mai 1940
15 H Les destroyers IMPERIAL, GRENADE, et GRIFFIN quittent le convoi pour aller mouiller aux Shetland à Sulton-Voe où ils transfèrent les rescapés du BISON à bord du navire-hôpital français SPHINX ainsi que sept morts.
Un nouvel appel dénombre 121 rescapés dont 60 blessés, une dizaine d’entre eux assez grièvement.
Le SPHINX appareille dans la soirée pour Scapa Flow.
dimanche 5 mai 1940
Les rescapés valides ou légèrement blessés du BISON sont transférés sur le paquebot réquisitionné PRESIDENT DOUMER en rade de Scapa Flow.
nuit du 5 au 6 mai 1940
Le petit dragueur de mines HEBE sort du mouillage de Scapa Flow.
À l’arrière, les corps de 23 marins britanniques et de 7 marins du BISON, ramenés par le SPHINX seront immergés selon la coutume anglaise pour ceux qui sont morts en mer. Les honneurs règlementaires sont rendus par un détachement britannique en armes. Trois officiers et dix marins du MONTCALM assistent à cette triste cérémonie.
Communiqué de l'Amirauté française :
« Le 3 mai, un convoi de transports de troupes a été attaqué en Mer du Nord par l’aviation ennemie. Aucun bâtiment n’a été touché, mais le contre-torpilleur BISON, qui faisait partie de l’escorte, a été coulé. »
Contre Torpilleur BISON - Citation à l’Ordre de l’Armée de Mer
« Commandé par le Capitaine de Vaisseau BOUAN, a glorieusement sombré au cours d’un violent combat avec un ennemi aérien ; a poussé l’esprit offensif jusqu’aux dernières limites, tirant encore de ses pièces alors que, coupé en deux, envahi par l’incendie, il était près de couler bas. »
Citation du Lieutenant de Vaisseau OUDIN
« Par la suite de la mise hors de combat de ses chefs, a été amené à prendre le commandement du contre –torpilleur BISON, désemparé par les coups de l’ennemi. A su organiser et conduire avec calme le sauvetage des survivants. »

La fin du Bison.
Après la campagne de Norvège, le MONTCALM est envoyé en Méditerranée. A partir du 19 mai, il est stationné à Alger où la flotte française surveille et guette la Marine italienne...
à suivre ... Dakar(1940)