L'ouverture de ce sujet va me permettre de partager ce que j'ai vécu pendant les quelques mois qui ont précédé mon engagement dans l'Aéro après la libération, j'ai écrit ça depuis un bon moment déjà, en même temps que mes souvenirs de pingouin.
Paris printemps 1944 - Apprenti dessinateur
Avril 1944, c'est l'année de mes dix huit ans, depuis septembre 1942, je travaille comme apprenti dessinateur industriel à la Société française de constructions mécaniques Babcock et Wilcox, située à La Courneuve, dans la banlieue Nord de Paris, [page]
Cette entreprise, filiale de Babcock & Wilcox USA, est spécialisée dans les chaudières et les constructions mécaniques destinées à l’équipement des centrales thermiques. En raison de l'occupation, les liens avec la maison mère sont coupés et l'usine est en partie réquisitionnée par les Allemands qui l’utilisent pour la réparation des arbres de gouvernes de leurs sous-marins basés en Bretagne. Des officiers de la Kriegsmarine sont souvent dans l'usine.
Au début 1944 je commence à exécuter des plans partiels de structures mécaniques, sans toutefois être encore assez expérimenté pour être nommé " dessinateur d’exécution", première étape sur le chemin de " dessinateur d’études" et qui sait, peut-être sur celui d'ingénieur si je me décide à fréquenter les cours des Arts et Métiers.
L’usine n’a jamais été vraiment bombardée, mais dès le printemps 1944 la situation évolue, les bombardements s’intensifient et quelques projectiles tombent dans le périmètre des ateliers lors des raids aériens contre la gare de triage de La Chapelle. [page]
Paris 1944 - - Les derniers mois d'Occupation
Depuis 1941,époque à laquelle nous avons quitté Boulogne Billancourt pour nous installer près de la place de la Convention, dans le 15ème Arrondissement, j’ai eu le temps de m’habituer à la vie du Paris occupé, il y roule peu de voitures, les lignes d’autobus ont été supprimées presque partout depuis longtemps, seuls les Allemands et les Français détenteurs d’un " Ausweis " peuvent circuler librement. Restent le Métro et le vélo…Qui au sortir de l'hiver, redevient le moyen de déplacement favori de nombreux Parisiens, des side-cars appelés " vélo- taxis "sont même assez répandus.
Aussi, comme beaucoup d’autres Parisiens, j’utilise le vélo pour me rendre à l’usine, je traverse la ville jusqu’à la banlieue Nord, passant au plus court en traversant la Seine à la hauteur de l’île de la Cité. En remontant le Bd de Strasbourg vers la Gare de l’est, il m’arrive souvent de rouler derrière les autobus transportant quotidiennement sur le même parcours que le mien, les jeunes "souris grises", auxiliaires féminines de la Luftwaffe, bien assises dans leurs bus. Tout en pédalant à côté, j’échange parfois quelques regards, avec suspendue au guidon, la gamelle préparée par ma mère que j’emporte pour mon repas de midi …
Les distractions sont limitées par les contraintes de l’occupation, les interdictions sont nombreuses, les restaurants ne servent qu’avec tickets d’alimentation, les quelques cabarets de nuit restés ouverts sont au-dessus de mes moyens, les sorties du soir se limitent le plus souvent aux séances de cinéma ou encore à la fréquentation des brasseries des Grands boulevards, on peut y écouter de petits orchestres en buvant un verre au prix fort jusqu’à l’heure du dernier métro, c’est à dire avant minuit. Je vais parfois au Floréal, une brasserie située boulevard Bonne-nouvelle, en face du Théâtre du Gymnase, où joue la formation de l’accordéoniste Aimable.
C’est un des rares endroits où l’on peut écouter les derniers succès de jazz anglo-américains qui ne sont jamais diffusés par Radio Paris, les occupants y viennent parfois, il est fréquent de ressortir du lieu les vêtements imprégnés de l’odeur fade de tabac blond de leurs cigarettes Juno. Aimable sera très connu ds les années 60 et 70 comme accordéoniste musette, à la même époque que la célèbre Yvette Horner qui suivait le tour de France
perchée sur une voiture avec son accordéon, il passait aussi à la Télé, c'était un Cht'imi. [page]
1944 c’est l’époque des " zazous", de la musique" swing" et des excentricités vestimentaires, malgré les restrictions ( la fibranne a remplacé les étoffes de laine ), la mode est aux vestes longues, aux chaussures à semelles de bois et aux cravates minuscules sur de hauts cols de chemises à barrette, ce n’est pas mon style, mais cela ne m’empêche pas d’être déjà amateur de jazz, je possède quelques disques 78 tours que j'écoute sur un phono à aiguille : Hot club de France, Hubert Rostaing, Alix Combelle, Aimé Barelli, André Eykian et aussi Gus Viseur et Tony Muréna, accordéonistes de jazz du moment.
A partir du mois d'avril les bombardements s'intensifient de nuit comme de jour sur les voies ferrées et les gares de triage, ces raids ne cesseront qu'à l'approche du Débarquement. Le ravitaillement de la capitale s'en trouve aussi désorganisé et les restrictions se font alors durement sentir pour les habitants de la région parisienne. Avec un copain de boulot nous partons plusieurs fois dans l’Oise à vélo pour chercher des pommes de terre, nous allons même une autre fois jusque dans la Mayenne pour essayer de ramener des œufs et quelques matières grasses.
Nos bécanes sont des vélos parisiens dits " porteurs", avec porte-bagages avant et frein à rétropédalage, de solides machines capables de supporter facilement dix kilos de patates dans une valise. Ces quelques escapades alimentaires prennent fin au moment du Débarquement du 6 juin.
Depuis l'entrée en guerre des Etats Unis les cartes de la guerre du Pacifique ornent les murs de ma chambre avec celles du front de Russie, dès le Débarquement je m'empresse d’y ajouter les cartes Michelin de Normandie pour pointer finement la progression de nos libérateurs.
A suivre ...
Dernière édition par Fanch 56 le Dim 23 Nov 2014, 16:39, édité 3 fois (Raison : Mis les balises page)