Départ en opération vers le djebel El Gaada
le 15 août 1959, tout le monde paré et embarqué, les camions démarrent. Il fait encore sombre, mais quelques lueurs sur l'horizon d'alfa annoncent l'imminence du jour.
Après une heure de route, les véhicules ralentissent et se présentent à l'entrée d'une piste où les attendent deux chars Sherman qui sont là pour l'ouverture de route.
Les camions vont les secouer pendant une heure encore. Ils stoppent enfin et se disposent en ligne de front.
Les hommes sautent à terre, se placent par groupes et commencent à progresser.
Plus loin, le commandant Servent assigne aux commandants de commandos, Scheidhauer pour “Jaubert” et Sulpis pour “de Montfort”, la mission qui lui revient.
La première journée est employée à marcher sans que les hommes sachent quel est exactement l'objectif recherché.
L’État-major a des raisons que la raison n'entend pas.
Le lendemain ils partent un peu plus tard vers Bou Alam, où le convoi arrive vers midi.
Ils trouvent un peu de réconfort au poste de la 22ème compagnie de Légion (2ème R.E.I.), où des bières fraîches prises au mess contribuent à leur remonter le moral.
Ils repartent dans l'après-midi. Le commando “de Montfort” est en train d'escalader sous un soleil de plomb un petit djebel, lorsqu'un M.D. 315, bimoteur léger, les survole à basse altitude.
Que se passe-t-il à ce moment là ?
Toujours est-il qu'une roquette partie des plans de l'avion vient percuter le flanc du djebel qu'est en train de gravir “Montfort”.
Explosion… fumée… mais pas de dégâts.
- Avion de “Lara”, appelle le lieutenant de vaisseau Sulpis, avion de “Lara”…
Qu'arrive-t-il ?
Une de vos roquette a failli atteindre mes hommes !
- “Lara” de “Foxtrot-Echo”…
Regrettons, mais incident technique, sans doute mauvais contact, a dû déclencher mise à feu. Rentrons à la base.
- Rigolos, grommelle “Tonton”, le maître Rives, nous aussi on a failli rentrer à notre base, mais les pieds devant ! Allez les bons petits, serrez !
Ils parviennent enfin au sommet.
La journée se termine sans autre incident.
Juste quelques rafales de F.M. tirées sur des fuyards, sans résultat.
Les hommes vont dormir sur place, couchés dans l'alfa.
Le lendemain matin c'est le retour sur Aflou.
Encore une opération de routine, sans objectif précis et sans résultat, mais qui aurait pu avoir de désastreuses conséquences ; une dépense d'énergie inutile.
Le 16 août à 4 heures 30, branle-bas ; ça recommence…
Cette fois les ordres sont différents.
Il faut préparer les sacs tyroliens en plus des sacs légers d'opération.
On va donc aller plus loin et pour plusieurs jours.
Le P.C., les commandos “Jaubert” et “de Montfort” sont dirigés vers le terrain d'aviation d'Aflou où des Nord-2501 du groupe “Anjou” les attendent.
Ils vont transporter les deux unités vers le sud-ouest, jusqu'au terrain d'Aïn-Sefra.
Ils y arrivent après environ une heure de vol.
Sept appareils du même type convoient le GROUCO au complet.
Sur le terrain se trouve déjà le P.C. de la 13ème D.I.
Mobile du général Crépin.
C'est le franchissement du barrage par une katiba rebelle qui a motivé le déplacement. Encerclée et matraquée par l'artillerie du 1/17 R.A., elle est localisée dans le djebel Bou Lehrfad.
Après avoir été héliporté, le Groupement devra resserrer progressivement l'encerclement et provoquer le contact avec la katiba.
A 11 heures, les commandos embarquent dans les camions en direction du P.C. du Groupement Sud Mobile du colonel Fonclar.
Les G.M.C. démarrent alors qu'arrivent les paras du groupement de Géryville, les “Totems” !
Le trajet dans les camions est très fatigant sur les pistes défoncées.
Ils arrivent enfin au P.C. C'est un beau dimanche d'août ; il fait très chaud.
Aussitôt le commandant Servent se dirige vers le P.C. du G.S.M. baptisé “Adoption”.
Il y retrouve les colonels Fonclar et Bigeard.
Ce dernier est venu de Saïda.
Il y a aussi le capitaine Peretti, son adjoint aviation.
Les missions sont définies aux commandos : “de Montfort” sera héliporté le premier sur la côte 1328, puis progressera vers la crête suivante où ont été repérés les fells.
Le P.C. sera ensuite héliporté sur le même point de la côte 1328 où, dans un premier temps, il stationnera.
Le commando “Jaubert” rejoindra le P.C., puis se divisera : une section ira soutenir “de Montfort” pendant que l'autre progressera plus à droite vers la côte 1307.
Des hélicoptères de l'armée de l'air et de la 32ème flottille de l'aéronavale se posent dans des tourbillons de poussière et un vacarme infernal, tandis que les batteries de 105 commencent à traiter la zone.
Le tir d'artillerie va durer une vingtaine de minutes. Le commando “de Montfort” ayant reçu l'ordre d'embarquer, les hommes se dirigent vers les hélicoptères.
Sitôt parés, ils décollent et se dirigent vers la D.Z. prévue.
La rotation suivante emporte le P.C. Grouco.
Dans un des habitacles, on remarque cette “grande gueule” de Poey d'Avant avec sa barbe à la François-Joseph (5), et plus loin dans un autre, Prim… des anciens déjà ; des “légendes”. Par cette chaleur, chaque hélico ne peut transporter que six hommes, sinon il “rame” trop du fait de la faible densité de l'air.
Lorsque le P.C. Grouco prend pied sur la D.Z., les sections de “Montfort” ont déjà dévalé le versant intérieur de la côte 1328 et s'apprêtent à attaquer la pente de la suivante.
A ce moment, le soleil cogne dur. Beaucoup plus à droite, les B-26 bombardent le djebel.
Tandis que la ronde des hélicos continue, le P.C. installe ses positions avec ses postes de radio.
Le second-maître Pelherbe dispose son groupe de protection.
Dans un étrange gargouillis les échanges-radio commencent.
Il est environ 16 heures 30 lorsque des coups de feu retentissent du côté où se situe “de Monfort”.
Il y a un accrochage.
Sur l'aile droite du dispositif, un peu plus haut que les autres, la section de l'E.V.2 Verhaerne va émerger sur une crête.
Les hommes sont pris pour cibles par les rebelles.
Le quartier-maître Blanc, surnommé “Pablo”, s'écroule… un flot de sang jaillit de sa gorge.
Il est tombé face contre terre, sans un mot.
Un camarade se précipite pour lui porter secours, le retourne ; “Pablo” est mort (6).
Un autre homme, le quartier-maître Alessi, a été blessé.
Verhaerne rejoint Bonbon, l'officier en second :
- Deux gars touchés, dit-il : bilan un mort et un blessé.
- Retourne, tu vas progresser et nous on va les contourner !
Bonbon commence à manœuvrer.
A cet instant tout se déchaîne.
Ils sont un bon paquet de fells et tous ont ouvert le feu.
Certains gars de “Montfort” ripostent mais ils sont interpellés :
- “Faites attention, Bon Dieu ! leur crie quelqu'un…
C'est moi !”
Il s'agit de Brissaud-Demayet qui, dès qu'il a vu les rebelles se replier, s'est levé et, suivi de quelques camarades, a foncé en tirant dans le tas.
Personne ne les avait vu partir.
Ils rentrent maintenant au risque de se faire descendre par les copains.
Bonbon appelle les deux Morvan : Roger, le maître fusilier-commando et Job, le quartier-maître.
Après une rapide concertation, ils décident de foncer sur les positions ennemies.
Couverts par les autres, les voilà lancés contre les fells.
Ces derniers décanillent fissa, ce qui encourage nos deux lascars à les poursuivre, d'autant que “Jaubert” arrive sur l'arrière droite en direction de la crête, dans l'intention de les coincer.
Un ordre du lieutenant de vaisseau Sulpis, le Pacha de “Montfort”, enjoint Bonbon de les faire tous revenir.
Il souhaite faire appel à l'artillerie.
C'est la déception parmi les “chasseurs” ; ils se sentent lésés.
Bonbon se permet de demander la raison de cette décision au Pacha :
- “Je préfère ainsi, lui répond Sulpis, on ignore combien de fells il y a en face.
S'ils s'enfuient, ils tomberont nécessairement sur la Légion.
De toutes façons je veux éviter à tout prix de faire casser des gars.
Peu importe si ce sont les légionnaires qui se les font ; c'est le résultat qui compte !”.
Cela faisait plusieurs fois qu'il agissait de cette manière.
Entre temps, “de Montfort” a descendu quatre fells, mais la situation n'est pas facile.
Le P.C. “Adoption” décide un appui aérien d'abord, puis d'artillerie ensuite.
Les B-26 arrivent sur les lieux. Il faut les voir piquer comme des dingues perpendiculairement à l'axe de progression de “Montfort” : roquettes, mitraillages en piqué, il y a de la précision chez ces pilotes.
Quels champions ces “cochers” là !
Le staffing terminé, les avions partis, c'est au tour de l'artillerie d'entrer en action. Le D.L.O. (7) est “branché” avec la direction de tir mais le poste cafouille.
Un piper survole la zone.
Il demande à faire l'appréciation de tir, ce qui lui est refusé !
Un premier tir de réglage a lieu.
Vu du P.C. “Laure”, la portée est bonne mais la direction est un peu à gauche de l'objectif. L'ordre de correction est donné par radio, mais la transmission est mauvaise car tout le monde parle en même temps.
Un ordre bref tombe…
Tir d'efficacité !
Bien corrigée, la salve arrive chez les fells, assez loin devant “Montfort” ; la limite de sécurité est à trois cents mètres.
Une deuxième salve arrive au but.
Les rebelles ne doivent pas tellement apprécier !
Puis chose étrange, le tir se décale en se rapprochant dangereusement de la position de “Montfort”.
Au P.C. “Laure”, le commandant Servent interroge :
- “Que se passe-t-il ?
Durand, on dirait que cela tire plus court.
Signalez au P.C. "Adoption" !”
Après consultation radio, Durand, l'officier de transmission du P.C. répond :
- “Il n'y a pas eu de correction depuis le début du tir.
Je demande au D.L.O. commandant”.
Une autre salve tombe juste devant “Montfort” ; la poussière masque ses positions. Brusquement, coupant toutes les autres liaisons, la voix angoissée du lieutenant de vaisseau Sulpis se fait entendre :
- “Laure de Lara… arrêtez le tir… je vous prie… Arr…”
Un fracas résonne sur le channel, puis un cri déchirant durant un bref instant (8). Le grésillement de la tranmission cesse brusquement…
Le commandant Servent interpelle aussitôt le P.C. “Adoption” :
- “Soleil ”de “Laure” autorité… cessez le feu immédiatement.
Vos obus tombent en plein sur “Lara” qui aurait vraisemblablement des dégâts !
- Bien reçu de “Soleil” !…
“Soleil” avait bien reçu… les commandos de “Montfort” également, mais des obus de 105 mm !…
-oOo-
Du côté du commando “de Montfort”, les gars abasourdis tentent de reprendre leurs esprits. Les coups qui viennent de leur tomber dessus ont causé des morts et des blessés.
Le second-maître Quentel, en voulant faire replier son groupe, est fauché avec quelques-uns de ses hommes par la dernière salve !
Pour les rebelles c'est une aubaine.
Au début ils ont encaissé, mais maintenant ils reprennent du poil de la bête ; ils tirent de toutes leurs armes sur “Montfort”.
L'E.V. Bonbon jaugeant du regard les pertes subies par les commandos de “Montfort”, prend le combiné radio :
- “Laure” de “Lara”… Il y a des morts et des blessés.
Le commandant est tué ! Répondez…”
- “Lara” de “Laure”… donnez des précisions.
Quel est l'état de vos pertes ?…
- Nous demandons d'abord EVASAN d'urgence.
Nous avons des blessés sous garrot et peu de moyens !…
Mais les liaisons radio sont exécrables.
Chaque fois que l'officier trans du P.C. essaie de parler, c'est le foutoir !
Pour l'E.V. Durand, impulsif et écœuré, c'en est trop.
Il serre le micro et se met à gueuler sur le channel :
- “Que tout le monde la ferme !”
Le commandant Servent parvient enfin à demander des hélicos pour les EVASAN. “Adoption” répond que pour le moment ils sont à l'arrêt.
Le commandant perd son calme, les termes qu'il emploie deviennent plus vifs.
Les hélicos vont arriver.
Le jeune médecin du P.C. veut gagner les positions de “Montfort” pour soigner les gars, mais le trajet présenterait trop de risques.
De déception, les larmes lui montent aux yeux.
Les fells ayant constaté que “de Montfort” a subi des pertes et, temporairement, n'est plus opérationnel, ont eu le temps de concentrer leurs tirs.
L'officier en second demande aux moins éprouvés de ses hommes de riposter.
A côté de lui, le quartier-maître Rives, surnommé “Bourguiba” parce que sa famille est de Tunis et qu'il est aussi volubile que l'original.
Tous les deux sont accroupis derrière les rochers :
- “Lieutenant… dit "Bourguiba", vous direz au revoir pour moi à Maman, je suis foutu !”
C'est la minute de vérité, l'instant ou l'homme de vingt ans redevient un enfant.
Bonbon ne constate pourtant aucune blessure apparente sur Rives.
“Allons… lui répond-il, tu n'as rien, ou du moins rien de grave.
Tu verras, cela ira bien.”
Comme s'il se sentait mieux après ce diagnostic rassurant, “Bourguiba” entreprend de soutenir le moral de ses copains blessés, comme Szymysnik qui souffre d'une grave blessure à la cuisse.
Enfin, le bruit de leurs moteurs puis la vue des hélicos qui surgissent entre deux crêtes remonte le moral des hommes.
L'embarquement des blessés sera difficile.
Le terrain est en forte déclivité.
Mais les pilotes sont des virtuoses et le premier hélico va se poser “sur une patte”, l'autre restant dans le vide.
Bonbon se précipite. Le chef de bord est le L.V. Ghesquière :
- Déplacez-vous, sinon vous allez vous faire foutre en l'air par les fells. Nous allons convoyer les blessés plus bas !
- Pas question, répond Ghesquière, on est là avec vous.
Amenez vos blessés graves tout de suite.
Bonbon se retourne vers le quartier-maître infirmier :
- Muller… crie-t-il, les plus urgents quels sont-ils ?
- J'arrive répond Muller, qui porte un pansement ensanglanté serré sur une cuisse.
- Qu'est-ce que tu as ? lui demande Bonbon.
- Oh !… C'est rien, ça va.
Alors “Job” Morvan, t'as le genou sérieusement esquinté… Szymysnik, c'est grave à la cuisse.
Muller parle très vite.
Il semble pressé, il est vrai qu'on le serait à moins.
Un hélico décolle, aussitôt touché de plusieurs projectiles.
Un autre se pose qui amène le toubib de l'antenne chirurgicale.
Soudain Muller défaille.
Le médecin est saisi d'un préssentiment.
Il a bien vu que l'artère fémorale a été touchée par un projectile ou un éclat.
Le lieu ni le moment ne sont propices à une intervention en urgence et Muller a perdu beaucoup de sang ; trop.
C'est pratiquement irrémédiable pour lui ; il n'en a plus pour longtemps.
- Et “Bourguiba”, demande Bonbon.
- Il est mort, lieutenant !, lui répond un quartier-maître.
Il n'a plus rien dit, puis on a eu l'impression qu'il s'était endormi.
Le quartier-maître Rives est là, appuyé contre la roche.
Effectivement il semble dormir.
Pourtant il n'a pas de blessure apparente.
De quoi a-t-il pu mourir ? (9)
Les hélicos étant partis avec les blessés et les morts, l'E.V. Bonbon compte ses effectifs. Des vingt-trois hommes dont il disposait, il n'en reste que dix valides !
A part Blanc tué par les fells et, peut-être, Muller qui va mourir, l'artillerie du 1/17ème R.A. est responsable d'un lourd bilan :
• Le lieutenant de vaisseau Sulpis, commandant de “Montfort”.
Il devait passer le commandement du commando à la fin de cette campagne.
• Le second-maître “Job” Quentel, un ancien d'Indochine avant de servir en Algérie.
• Les quartier-maîtres Santia, Petitjean, Rives et Szymysnik.
• En ce qui concerne les blessés, à part Alessi blessé par les fells, il faut mettre au compte du 1/17ème R.A. le maître Roger Morvan, les quartiers-maîtres “Job” Morvan, Liégeois, Planson et Sylvestre, les matelots Berthomier et Surel.
Pour renforcer “Montfort”, le commandant Servent (“Laure”) utilise la 1ère de “Jaubert” avec à sa tête l'enseigne de vaisseau Fossat.
Lors du déplacement pour rejoindre leurs camarades, Montjaux, Capiomont et Fleury capturent trois rebelles avec leur armement.
Parmi eux un déserteur des “bérets bleus” qui s'exprime très bien en français.
En cours de route il propose aux commandos de les conduire à l'endroit où ils ont planqué la M.G.
Elle les gênait dans leur fuite.
En fouillant les prisonniers, ils ont la surprise de découvrir une somme de 14 millions de francs (anciens) au fond d'une musette.
Le porteur du magot déclare ignorer ce que contenait la musette.
Fossat décide d'aller avec son groupe récupérer la M.G.
Sur leur chemin, passant dans un fond d'oued, ils découvrent plusieurs cadavres de fells qui se sont fait straffer par l'aviation.
Ils ont été visiblement surpris alors qu'ils se déplaçaient en file indienne.
Au cours de leur progression, les bérets verts rencontrent les “Totems”, les paras du Groupement de Géryville.
Le lieutenant qui commande ces derniers s'oppose à ce qu'ils aillent plus loin, prétextant la présence de tireurs isolés.
Fossat passe outre.
S'ils rencontrent des tireurs ce sera sans doute pour eux l'occasion d'augmenter le bilan.
Les gars de “Jaubert” parviennent sans autres difficultés à l'endroit où a été cachée la mitrailleuse.
Elle est toujours là, jetée sous les lauriers-roses.
Ils s'en saisissent.
Sur leur route de retour, ils croisent à nouveau les paras.
Le lieutenant apercevant la M.G. demande qu'elle lui soit remise, arguant que ce secteur étant le sien elle lui revient sans conteste :
- Vous êtes passés à l'endroit où j'opère, cette M.G. est à moi. Rendez-la nous !
- Et pourquoi donc ?… demande Fossat
- Cela fait plusieurs heures que nous sommes ici.
Fossat coupe court et, entraînant ses hommes, il fait un “bras d'honneur” au lieutenant (10) qui reste médusé.
Lorsqu'il reprend ses esprits, les commandos sont déjà loin.
La nuit tombe. Le P.C. du Grouco décide de changer de position.
Des rebelles vont encore être tués durant la nuit par “Jaubert” et “de Montfort”.
Mais, comble de malchance, des Tirailleurs Sénégalais qui se trouvent en bouclage, vont tirer des rafales d'armes automatiques sur les positions de “Montfort”.
Un autre incident est à relever du côté du P.C. “Laure”.
Un rebelle qui tentait de franchir le bouclage, débouche juste devant un factionnaire.
Ce dernier, croyant voir un camarade revenant de satisfaire un besoin naturel dans la nature, ne réalise qu'en voyant le fell faire un bond en arrière.
Il tire, mais trop tard. N'empêche que le fell a dû éprouver une sacrée frousse !
D'après le trafic radio, du côté des paras ça brasse de l'air.
Un capitaine demande une EVASAN pour un de ses “gus” qui a une vilaine blessure à la cuisse.
Il spécifie que le blessé ne peut passer la nuit sur le piton.
La réponse de “Soleil” est qu'il n'y a plus d'hélicoptère !
Ce n'est pas du goût de l'officier para.
Il s'emporte et gueule par radio à tous ceux qui sont en mesure de l'entendre, que s'il le faut il fera évacuer son blessé à dos d'homme, quitte à ce que son commando décroche de sa position !…
Bien entendu ce type de langage, propre aux capitaines de grandes compagnies, irrite la susceptibilité et déplait souverainement aux planteurs de petits drapeaux ; c'est généralement nuisible au bon déroulement de carrière.
Il faudra que ce soit Bigeard qui envoie une Alouette pour remplir cette mission.
Bien qu'ayant rencontré de sérieuses difficultés, le pilote parviendra à récupérer le blessé.
Le 19 août 1959, ont lieu les obsèques des hommes tués au cours de l'opération.
Les rescapés du commando “de Montfort” et tous leurs camarades ont été ramenés vers l'arrière.
La veillée funèbre est assurée en grande partie par les artilleurs.
La cérémonie, qui se déroule dans la cour de la redoute d'Aïn-Sefra, P.C. du 2ème R.E.I., est émouvante.
Elle a lieu en présence de l'amiral Querville, du général Crépin qui commandait l'opération, des autorités civiles et d'une partie de la belle-famille du lieutenant de vaisseau Sulpis venue d'Oran.
Les hommes du commando “de Montfort” sont alignés.
Les visages marqués par la fatigue et la peine n'ont plus d'âge. Burnichon, “la Burniche”, porte le coussin sur lequel sont disposées les décorations.
L'amiral Querville épingle ces dernières sur chaque drapeau recouvrant les cercueils.
Fait troublant, le lieutenant de vaisseau Sulpis ne reçoit pas le grade supérieur de la Légion d'Honneur habituellement attribué à titre posthume dans de telles circonstances.
D'autres ont été, sont ou seront décorés pour des comportements pourtant bien moins glorieux…
Cette fois encore, la sonnerie aux morts allait briser les dernières résistances.
On vit chez ces “durs à cuire”, les joues tannées par le soleil, les yeux s'embuer de larmes ; ils rendaient un dernier hommage à leurs copains, leurs frères d'arme.
De l'autre côté de la cour d'honneur, près de la stèle qui représente un grand fer-à-cheval, l'ancien insigne du 2ème R.E.I., se tient dans un respectueux garde-à-vous le sergent-chef légionnaire Rosenkrantz.
C'est lui qui a en charge de régler toutes les cérémonies funèbres.
Il aura malheureusement encore plusieurs occasions de rendre les derniers hommages aux commandos-marine.
Il ne faut cependant pas oublier les filles du B.M.C. qui, lors de chacune de ces pénibles circonstances, offrent de magnifiques gerbes de fleurs.
Sur un signe de Rosenkrantz, les cercueils sont hissés dans les camions.
Ils vont prendre la direction de la gare de laquelle le train va les conduire à Oran.
Les corps y seront provisoirement inhumés dans le cimetière du petit lac.
Ils rallieront ensuite la France pour reposer souvent dans le modeste carré d'un petit cimetière de province.
Certains y trouveront l'oubli…
Le soir même, après avoir été relevés par des tirailleurs, les commandos rentrent à Aïn Sefra.
Le 20 août, le Groupement reprend la route vers Aflou.
Au Kreider ils retrouvent les paras qui rallient Géryville ; ceux-ci sont en train de distribuer des bonbons aux gosses du patelin.
Que ne ferait-on pas au nom de la France ?
Le lendemain, le lieutenant de vaisseau le Deuff prend le commandement du commando “de Montfort”.
1) - Les galantines et pâtés de ces deux gros fournisseurs des Halles hantaient les boîtes de rations des militaires.
En espérant que la préparation de leurs produits bénéficient de la bonne volonté des consommateurs, car la qualité…
2) - Mitrailleuses légères allemandes de la seconde guerre mondiale, généreusement fournies aux rebelles par la Tchécoslovaquie, en provenance des stocks récupérés après guerre.
3) - “Bison-marine”, “Rameur-canon”, “Barlut-canon”, “Pirate-vert” sont les indicatifs attribués aux hélicoptères cargos armés de canons de l'aéronavale (GHAN : Groupement des Hélicoptères de l'Aéronautique Navale).
L'armée de l'air avait les “Mammouths”.
Le terme général pour désigner les hélicos était “Ventilateurs”.
4) - Le capitaine de corvette Costagliola venait d'être désigné pour le croiseur-école Jeanne d'Arc qui, chaque année, faisait le tour du monde pour la croisière d'application de l’École Navale.
5) - Le Groupe des Hélicoptère de l'Aéronautique Navale (GHAN) comptait plusieurs “spécimens” ; des originaux en somme.
L'autorisation de conserver la barbe à la François-Joseph fut accordée à Poey d'Avant par le non moins original commandant Babot (indicatif “Jules”) décédé fin 2002.
6) - Blanc allait bientôt quitter la marine ; il était comme on dit “de la classe”.
Il avait fait une demande pour travailler chez les forestiers en Afrique et avait été agréé.
7) - DLO (Détachement Liaison Opérationnelle) : détachement de direction de tir.
8) - C'était le cri d'un harki qui se tenait auprès du L.V. Sulpis et qui l'avait vu tomber. Certains de ces harkis suivaient les commandos depuis Nemours.
9) - On constatera qu'il avait reçu un petit éclat dans le foie.
10) - Il s'agissait du lieutenant Leclerc de Hautecloque.