Escapade à Hong Kong de Didier Vidal.

Au mois d'août 1953, je suis désigné avec mes camarades de l'équipage pour convoyer le 28.F-4 vers Hong Kong.
Les ateliers civils de Kai-Tak prenaient en charge les visites de mille heures de nos Privateer, puis nous ramenions un autre appareil sortant de ces ateliers.

Hong Kong, cité mythique avec son port à l'activité grouillante, à la réputation sulfureuse.
La Chine communiste toute proche lui confère une position délicate et à la fois avantageuse car l'empire du milieu prisonnier de sa politique totalitaire n'a pas d'autre débouché sur le monde libre que celui de Hong Kong.
Encore faut-il que les Anglais, maîtres des lieux, ferment bien les yeux sur les trafics maritimes transitant par la Rivière des Perles depuis Canton.

Après un vol de cinq heures et quart, le 28.F-4 se présente dans le circuit de Kai-Tak dont la difficulté est bien connue des pilotes.
La procédure d'atterrissage demande toute leur adresse pour s'engager entre deux montagnes et ne voir la piste qu'en courte finale.
Pendant l'approche, la chaleur devient presque intolérable dans cette carcasse métallique.
Nous avons hâte de pouvoir ouvrir les trappes supérieures pour respirer un peu d'air.

Kai-Tak comme Tan-Son-Nhut doit partager son unique piste entre les compagnies civiles et la Royal Air Force.
Cette dernière nous hébergera pendant les cinq jours de cette mission.
Nous sommes reçus au mess des « Petty-Officers » qui ressemble beaucoup à un club très British de Calcutta ou de Bombay.
La comparaison avec notre « poste des bœufs » nous fait prendre conscience que la France nous oublie beaucoup.
Le service du breakfast et du five O'clock est assuré par des maîtres d'hôtel hindous en veste blanche et enturbannés.
Je prends vite goût au tea, eggs and bacon et porridge.

Avant notre départ dont toute la base est au courant, il y a de la part de nos camarades, des commandes à rapporter de ce pays de cocagne où l'or, les bijoux en jade, les appareils photos, les cannes à pêche, les cigarettes blondes et les services à thé en porcelaine sont vendus à des prix défiant toute concurrence.
Le taxi nous débarque dans Nathan Road, la grande avenue de Kowloon, la sœur continentale de Hong Kong où les magasins regorgent de toutes ces merveilles.

En ce mois d'août, la chaleur accompagnée d'une humidité à 95% est assez pénible.
Heureusement, des climatiseurs équipent la plupart des lieux publics, magasins, bars, cinémas, coiffeurs.
Tout ceci est nouveau pour nous car l'Indochine n'a pas encore été conquise par le modernisme made in US ou Japan.
Conservatisme franchouillard !

Mon grand plaisir est d'aller me confier aux mains d'un barbier chinois où, d'entrée, une charmante hôtesse vous offre cigarette, Coca-Cola et vous conduit vers un fauteuil qui d'un coup de pédale vous met à l'horizontale.
Une autre charmante chinoise vient vous préparer en vous appliquant sur le visage des serviettes chaudes parfumées afin d'adoucir la barbe.
Le maître raseur peut ensuite officier qui, d'une main sûre et légère, transforme un visage poilu, en petites fesse de bébé.
Pendant ce travail, une troisième jeune femme vous papote les doigts pour une séance de manucure.
Avant de vous lâcher, quelques instants de vibromasseur sur la poitrine et la nuque vous laisse dans un état semi-comateux très proche de la sieste.
Tout cela pour la modique somme de 5 dollars HK, représentant en France l'équivalent d'un verre de limonade ou à peu près.

Pour faire quelques emplettes sur l'île Victoria, il faut encore à l'époque, prendre les navettes maritimes effectuant des traversées de la rade.
Comme nos journées à Kai-Tak sont consacrées aux vols d'essai de l'appareil sortant de révision, les courtes soirées se passent à Kowloon où aucun des agréments et plaisirs ne manquent.
Nous pouvons visiter à quelques minutes de la base, restaurants, et magasins de toutes sortes.

Tout l'équipage fait ses achats comme je les fais moi-même et nous entassons les services à thé, cartouches de « Craven A », cannes à pêche, appareils photos, dans les soutes et toutes caches disponibles de l'appareil à convoyer en retour vers Saïgon, en priant le bon Dieu que les douaniers ne viennent pas y mettre leur nez.
Notre bombardier se transforme en charter de contrebande.
En ces temps troublés, la douane ferme les yeux et notre escale sur l'ère de transit de Tan Son Nhut ne dure que le temps d'un paraphe et d'un tampon au bas d'un formulaire.
Ouf !

Didier Vidal Ex SM Radbo