D'autres soucis pour un membre du Service de Santé
Le 16 mars 54, l'Antenne Chirurgicale Parachutée n°3 du médecin-lieutenant Résillot, comprenant une équipe de sept membres, saute en parachute sur le PC central du camp retranché de Diên Biên Phu, en renfort, suivi de tout son matériel, paniers et colis.
Tout sera transporté, hommes et matériel par deux GMC sur le Centre de Résistance « Isabelle », le plus au sud et à 6 km du dispositif.
Parmi ces derniers arrivants figure le QM 1 Jean Segalen. Hormis son service militaire, effectué en 46, il a contracté un engagement dans la marine en choisissant la spécialité d'infirmier.
En janvier 51, Jean part pour l'Indochine et après un mois de traversée, il arrive à Saigon d'où il est affecté à l'hôpital militaire Ciais de Haiphong.
C'est la période « bloquée » sur les offensives contre le delta du général Vô N'guyen Giap, qui commande le corps de bataille du Viêt-minh.
Ségalen se montre autant polyvalent qu'omniprésent, de jour et de nuit.
Il est à la réception des ambulances, pour le triage des blessés, vérifiant les fiches individuelles d'accompagnement pour avoir un aperçu rapide des cas d'urgences.
Suivant les cas il administre les premiers soins.
Il faut souligner que durant cette période d'urgences, il a donné au moins quinze fois son sang afin de ranimer des « arrivants » qui en avaient perdu à limite du supportable. A son crédit, il faut encore ajouter les soins intensifs apportés aux blessés en danger, sur lesquels il veille jusqu'à ce qu'ils soient tirés d'affaire.
Une citation à l'ordre de la brigade récompense son comportement.
Toutefois, Ségalen, craignant de s'enfoncer dans la routine, demande une affectation dans une antenne chirurgicale parachutée, pour laquelle il se voit contraint de suivre un stage d'entraînement spécial au sol et en vol.
Il débute son stage, mais il l'interrompt pour rallier la base aéroterrestre de Na San, au pays thaï noir, commandée par le général Gilles, qui doit servir de verrou contre les divisions viêts de Giap.
A peine sur place, il se porte volontaire pour être héliporté sur le petit poste de Ba Lay, situé en pays thaï, près de la rivière Noire et défendu par le II/ 4è régiment de tirailleurs marocains.
Il y a des blessés et des morts, mais pas de médecins, ni d'infirmiers et Ségalen piaffe sur place pour avoir un hélicoptère, car il sait qu'il y a des blessés sous garrot ou dans un état grave.
Il est envoyé sur place et aménage les évasan, en plusieurs rotations sur Na San, où ils recevront les soins adéquats.
En janvier 53, son activité opérationnelle fait l'objet d'une autre citation avec étoile de bronze sur sa TOE.
De retour à Hanoi, Jean rallie un second stage para pour être breveté parachutiste ; ce qui est réalisé après six sauts sur C-47 Dakota.
Ensuite, il est envoyé à l'hôpital Ciais, pour remplacer un SM infirmier indisponible.
Ségalen n'est guère mieux, car à force de trop présumer de ses forces, d'ignorer les temps de repos et les rigueurs du climat, il se « jaunit » à la suite d'un ictère, plus communément connu sous le nom de jaunisse.
Il accepte le traitement durant quinze jours, mais refuse toute convalescence.
Une chance se présente avec l'affectation définitive comme anesthésiste à l'antenne chirurgicale du médecin marine de 1ère classe Million, un autre baroudeur.
Jean le rejoint dans la plaine des Jarres, au Laos, où le général Salan, commandant en chef en Indochine, s'oppose aux offensives du général Giap, qui a lancé ses divisions, régiments et bataillons à travers le Laos.
Pendant huit mois, Jean répond aux exigences de son métier.
Mais, Giap a trop présume de ses forces et des possibilités de ravitaillement sur le pays et comme les maquis des GCMA ont en plus attaqué les colonnes de ravitaillement, la situation des Viêts est grave.
Ne trouvant pas d'autre situation dans l'immédiat, Giap fait rebrousser chemin à ses troupes et remonte vers le nord, gagnant la haute région du Tonkin.
C'est là qu'on retrouve Jean Ségalen qui va se battre à « Isabelle », luttant contre le manque de tout, de sang, d'anesthésique, d'hygiène avec les pieds dans l'eau boueuse, car les abris s'écroulaient sous les coups de l'artillerie jusqu'à ce que le 07 mai 54, la camp retranché tombe aux mains des Viêts.
Ensuite, ce sera la marche de la mort, vers les soi-disant hôpitaux de l'arrière, où la « haute clémence du président Hô Chi Minh » permettra à près de 72% des prisonniers de Diên Biên Phu de mourir dans un délai de moins de dix mois.
Jean avait réussi à subtiliser des médicaments avant la ruée des vagues de viêts et à les planquer dans des chaussettes.
Plusieurs lui devront la vie pour ses soins à la Nivaquine et aux antibiotiques, sans oublier ses conseils d'hygiène.
Il avait autant de courage à le faire qu'il s'opposait au « lavage de cerveau » que les Viêts, voulaient imposer aux prisonniers.
Est-il utile de préciser que ce Breton était têtu et qu'il n'avait pas accepté ce qui était arrivé.
Il avait reçu, le 25 octobre 54, en plus de ses cinq citations, la médaille militaire, puis sera promu au grade de second-maître pour faits de guerre.
En 57, il est affecté à La DBFM, avec les fonctions d'infirmier-major au pavillon militaire de l'hôpital de Nemours, où il aura une sixième citation.
Il y retrouvera son ancien « toubib », le docteur Million, un autre baroudeur.
Jean Ségalen n'eut même la dernière faveur en quittant la marine, car les droits ne sont acquits que dans la fonction publique, de se voir remettre la Légion d'honneur.
Peut-être que le médecin général qui s'est inquiété des moyens prophylactiques ou mécaniques de protection, s'est vu octroyer la « rouge » pour avoir pensé aux désirs abusifs des nostalgiques de l'Indochine."
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Je remercie
René BAIL pour ce texte ainsi que de m'avoir laissé le mettre sur le Forum.
Je remercie
Daniel BONNERUE, qui m'a transmis cet extrait de texte, et qui par la même occasion m'a adressé ces quelques mots :
Tu peux constater que, même longtemps après sa disparition, la mémoire de ton père et de son comportement exemplaire est encore vive dans les ouvrages relatant des épisodes, parfois douloureux, de notre histoire. Daniel.
Merci