Après avoir quitté le CER, suivi d’un bref passage à la caserne marine de la Pépinière à Paris, le 21 mai, je me retrouve à bord d’un DC6B civil (quadrimoteur à hélices), avec 80 marins tant du service général que de l’aéronavale, de tous grade, affectés à Nouméa où nous relèverons un personnel en fin d’affectation. J’y retrouve mon copain Bebert Desponts que j’ai connu à l’EAMF. Nous sommes tous en tenue bourgeoise et nos passeports ne font pas état de notre situation militaire afin de ne pas provoquer d’incidents diplomatiques lors des escales. Après Rome, Beyrouth, Karachi, Rangoon, Djakarta, Darwin, Brisbane, Sydney et 49 heures de vol nous arrivons à Tontouta le 24 mai. Les escales, même les techniques sont brèves- pas de douches, ça commence à sentir le fauve, il faut sommeiller comme on peut sur son siège qui n’est pas un pullman- et nous sommes crevés à l’arrivée.
A peine descendu de l’avion, j’entends qu’on appelle le premier maître Bavoux et on m’annonce que je vais à l’unité marine de Chaleix. zut alors ! Moi qui pensait que je serais affecté à l’escadrille 9S équipée de deux avions Lancaster et que j’allais pouvoir enfin me mettre les mains dans le cambouis, je suis refait, je vais être contraint de me plonger dans des tâches plus ou moins administratives !
Je fais bien partie de la 9S, mais détaché à l’unité marine et je suis sous les ordres de « l’ing mec » SEGALEN qui sera remplacé par Harry DANTZER, lequel définit ainsi mes fonctions :

Ces termes ronflants traduisent mal la réalité, cette dernière ne déclanche pas mon enthousiasme !
Ce à quoi il faut ajouter la gestion du parc à combustibles qui relève à la fois du service général et de l’aéro.
J’aurai avec moi :Le mtr RAULY,le sm Vauthelin, Le Qm1 Kerros, le sm Thomas, le m Meyer, les mat Bareira fréres jumeaux, le mat Cordier, le SM Jeunon, le Qm Leleu…
J’apprendrai plus tard que j’avais été recommandé, avant mon départ, pour « cette fonction nouvelle pour lui et pour laquelle il semble particulièrement désigné » par l’amiral Kervarec, ancien commandant du C E Rochefort, et qui est alors directeur général du SAMAN (Service des Approvisionnements du Matériel de l’Aéronautique Navale) à Toussus-le-Noble.
Le magasin aéro se trouve dans une baraque en bois couverte de tôles ondulées dont l’aménagement, intérieur sombre et poussiéreux, n’est guère réjouissant. Les rechanges volumineux sont entreposés dans les locaux de l’ancienne amirauté en ville. Plus tard, en 1962, il faudra même louer un dock en ville pour caser des caisses d’éléments de fuselage que le SAMAN nous enverra généreusement, quatre fois plus que ce qu’on m’avait demandé de prévoir pour finir les derniers Lancaster avant leur extinction.
Les Ateliers Aéro, moteurs, équipements, parachutes et engins de sauvetage sont installés dans des bâtiments neufs. L’activité pour deux Lancaster et un Fieseler Storch est assez réduite. Notre tache principale consiste à conditionner le stockage des moteurs Rolls Royce Merlin dans des containers cylindriques en en acier. 27 ans plus tard quand je suis retourné à Nouméa à titre civil, j’ai revu de ces containers entreposés dans la zone industrielle de Ducos.
Le parc à combustible, c’est un demi tonneau en tôle, certainement un vestige américain de la dernière guerre, a milieu d’un parc dont le sol est recouvert de grilles alvéolées. Spectacle de désolation : des quantités de fûts entreposés là, sous le soleil et sous la pluie, depuis une éternité dont on arrive même plus à déterminer le contenu spécifique tant ils sont rouillés (huiles, savon noir, alcool, peintures, etc.) Il y là aussi des pots, qui ont contenus de la peinture, sous le fond desquels on peut lire « aide américaine à l’Indochine) Il paraît que la plupart des produits entreposés ici ont été ramenés d’In
Ce ne sera pas la dernière de mes surprises dans la découverte de mon job, mais ce serait trop long à conter. Je l’ai pressenti le jour de mon arrivée et c’est pourquoi j’ai refusé de signer la prise en charge les yeux fermés.
Ma maniaquerie de toujours vouloir améliorer les choses et de tout mettre au clair pourra se manifester. J’y participe manuellement avec mes « gusses » .Le résultat doit faire de l’effet car lors d’une inspection le CV ESBACH, cdt la marine en Nlle Calédonie, me félicite et me serre la main ! Le CSI , OEP TETARD, me dira que je dois l’avoir mérité car depuis 25 ans qu’il connaît le pacha, surnommé l’homme au sourire d’acier, c’est la première fois qu’il le voit serrer la main d’un OM.
Ce qui n’empêchera pas, quelque temps après, ce pacha très stric, de me coller 4 jours d’arrêt avec sursis pour, alors que j’étais officier de garde, avoir fait descendre les couleurs avec 15 secondes de retard et en courant !
En 1962 l’équipage d’un Sunderland de la Royal New Zealand Air Force vient à Nouméa pour une rencontre amicale avec les équipages de la 9s qui comme eux assurent le SAMAR dans cette partie du Pacifique Sud. Etant officier de garde ce jour là c’est moi qui les accueille à Chaleix. Je cède même ma chambre à un dénommé Willy, un géant de près de 1,90 mètres, et bien sur rugbyman. Il sera tout étonné de pouvoir entrer dans ma 4cv Renault quand je l’emmènerai rejoindre son zinc amarré au port.
Il faut croire qu’ils ont été très satisfaits de l’accueil qui leur a été fait, et c’est sans doute pour cela que quelques temps plus tard, le « warant officer Bavoux » est invité par la RNZAF avec l’équipage du 9S2 et le CC MARTINI à leur rendre la visite à leur base aux Iles Fidji
Le 6 novembre 1962 nous allons de Tontouta à Nandi d’où nous repartons à bord d’un Sunderland pour Lautoka. Nous sommes reçus chaleureusement par les néo-zélandais. Je sympathise -bien que ne parlant pas l’anglais et lui pas le français- avec mon quasi homologue, le WE Dawn, avec qui je resterai en relation quelques années, dont le fils Peter étudie le Français. Il me fera visiter l’île de Suva avec son épouse à bord de sa Vauxhall Victor.
Ma famille et moi-même habitons au quartier Trianon.
La Nouvelle Calédonie, Nouméa, ses îlots, ses plages et l’océan Pacifique nous séduisent littéralement et je me prends d’une grande passion pour les coquillages. Aujourd’hui encore ma collection est une curiosité pour mes amis. Pratiquement toutes nos sorties, accompagnés de nos inséparables Vauthelin parfois Bebert Desponts et d’amis caldoches, se font sur le littoral, sur le récif et sur les îlots : phare Amédée, Te Ndu, etc. grâce à un LCT que la Marine met à notre disposition le dimanche, et là, nous plongeons infatigablement en apnée à la recherche des trésors de conchyliologie. La peur que nous inspirent les requins n’entame pas notre passion.
Un jour, mes idées sont connues, on me demande si je veux prendre à ma table, au poste des maîtres, Henri Boula, grand chef d’une tribu de Lifou, (îles Loyauté) ,quartier-maître de réserve, qui vient faire une période volontaire à Chaleix. Compte tenu de son rang la Marine ne peut le mettre à l’équipage. Certains « ploucs » n’apprécient pas mais je leur précise nettement que Boula est mon invité. Je sympathise avec lui. A la fin de sa période, il me convie à lui rendre visite dans sa tribu à Lifou. Quelques temps après je m’y rendrai avec mon épouse, au départ de Magenta, à bord d’un De Haviland Heron. Je garde en souvenir la gentillesse avec laquelle nous avons été reçus par tous les membres de la tribu, certains sont même venus avec nous « plonger les coquillages ».
Le temps passe, je suis promu MP le 1er juillet 1963 et mon affectation se termine le 8.Bon gré mal gré il me faut rentrer en France. Le voyage de retour se fera à bord d’un DC8 de l’UAT –Sydney, Saigon, Beyrouth, Paris.
Au moment du départ je vends la 4CV Renault à deux de mes matelots, les frères jumeaux Barreira, et je passe commande d’une Renault R8 neuve qui me sera livrée à Paris.
Je songe à quitter la Marine, mais ceci est une autre histoire.