Un beau jour, au printemps 64, arrive un message à destination du Commandant, lui intimant l’ordre de se tenir prêt pour une éventuelle mission d’évacuation, sans autre précision.
Quelques heures plus tard, branle-bas de combat, il faut rameuter toutes les personnes à terre et appareiller sans délai en direction d’Haïti.
Notre mission : délivrer  le Consul de France que les émeutiers séquestraient dans sa résidence à Port au Prince.
Un plan d’action est aussitôt élaboré : il faut former un commando qui ira manu militari récupérer le diplomate.
Une dizaine d’hommes sous les ordres du commandant en second sont désignés.
En ce qui me concerne je dois assurer la sécurité du débarquement de ce commando.
Parti le premier en zodiac avec deux hommes d’équipage, je dois choisir un point stratégique sur le rivage où installer notre fusil mitrailleur A3.
J’avais fait quelques exercices de tir avec cet engin à Fort de France, au champ de tir de Colson.
Étant « chef de pièce », je devais me contenter de commander mon groupe... et l’ouverture du feu si nécessaire.
Un homme d’équipage faisait office de tireur et l’autre de servant pour réapprovisionner le fusil-mitrailleur.
J’avais également une arme de poing calibre 9mn je crois, dont nous étions équipés quand nous montions la garde à la coupée.
Tout l’après-midi, installés sur la plage arrière de notre dragueur, nous avons fait des exercices de tir avec ce satané FM qui s’enrayait toutes les cinq minutes, pas vraiment fiable.
Je commençais à être sérieusement inquiet.
Durant notre approche en zodiac du fameux point stratégique, nous devions être couverts si nécessaire par un tir de canon de 40 destiné à dissuader d’éventuels empêcheurs de débarquer.
Ayant pu apprécier l’adresse de notre canonnier durant l’entraînement sur cible, je craignais que nous ne soyons coulés avant même d’avoir atteint « l’ennemi ».
Je pensais aussi au révolver que je devais porter à la ceinture, jamais personne ne nous avait appris à nous en servir.
Ma nuit fut agitée.
Je craignais autant d’être accueilli par les coupe-coupe des insurgés, que de devoir donner l’ordre d’ouvrir le feu sur eux.
En un mot j’avais la pétoche : marin oui, guerrier l’envie m’en était passée.
Nous arrivons en vue des côtes d’Haïti alors que le jour se lève à peine.
Je suis de plus en plus nerveux… et soudain le radio surgit à la passerelle où j’étais posté avec l’état-major tout aussi fébrile que moi.
Contre-ordre, les Marines de la Navy nous avaient précédés et étaient en cours d’opération. Ordre nous est donné de patrouiller au large, dans l’attente de l’évolution des événements, pour apporter un soutien éventuel aux Ricains.
Dieu merci, tout se passa bien, sans effusion de sang et les vaillants Boys n’eurent pas besoin du renfort des Cols bleus français.
Je pense qu’ils avaient déployé des moyens beaucoup plus dissuasifs que ceux que nous nous apprêtions à mettre en œuvre.
Nous reçûmes enfin l’ordre de regagner notre base.
Ouf !