Plus bas, la belle ordonnance de la ville coloniale étire ses avenues et ses arcades jusqu'au port.
Nous descendons à terre.
Rue Michelet, des mendiants plus ou moins difformes s'accrochent à nos vêtements dans l'espoir d'une pièce.
On ne s'aventure pas dans la Casbah si pittoresque mais réputée dangereuse.
Les quais d'Alger sont littéralement recouverts de centaines de barriques de vin.
Le vin d'Algérie s'exporte massivement vers la France.
Ce vin à haut degré d'alcool (14°) mélangé aux piquettes de l'Hérault, en fera un vin de table acceptable.
Prochaine escale : Port SaÏd, à l'entrée du canal de Suez.
Le bateau reste mouillé une bonne journée dans l'attente du passage.
Une énorme publicité lumineuse du whisky "Johnny Walker" souligne que le pays est encore sous influence anglaise.
Une nuée d'embarcations a entouré le bateau.
Les marchands nous proposent des articles en cuir, sacs de voyage, valises, etc... à des prix alléchants.
Du haut du pont du paquebot, de petits cordages font le va-et-vient avec les embarcations, l'argent à la descente, la marchandise à la remontée.
Sont proposés aussi des bagues en or (?) des diamants (?) à des prix dérisoiresbpar des personnages qui se sont glissés à bord et présentent leur marchandise en se cachant avec des mines de conspirateurs...
Les diamants en question rayent les hublots !
Avant Singapour, les bagues auront viré au vert-de-gris, les diamants se révéleront simples bouchons de carafe.
Quant aux sacs de cuir, les nombreuses poches extérieures qui leur donnent cette apparence si rebondie, une fois ouvertes, laisseront apparaître ... l'autre côté du sac.
Non, les "autochtones" ne font pas mentir leur réputation de voleurs et de menteurs.
Les anciens ne s'y laissent pas prendre.
Heureusement pour moi, mon statut financier mensuel - deux cents francs, deux timbres - m'a évité de me faire rouler.

Le lendemain matin, nous entrons dans le canal.
Sable à droite, sable à gauche, le paquebot avance lentement.
Nous croisons des caravanes de chameaux, contraste absolu entre le modernisme de l'Occident et les usages millénaires de l'Orient.
Ismaïlia, Toussoum, El Ferdane, El Kantara, merveilles de petites bourgades échelonnées au long du canal dans leur écrin de verdure et de fleurs.
Des résidences européennes cossues abritent les fonctionnaires du canal et leur famille.
Surprise : les postes de contrôle sont tenus par des collègues de la marine française.
Oui, la France, à l'origine de cette gigantesque entreprise, la France a encore des droits sur le canal, plus pour longtemps hélas.
A mi-journée, nous atteignons les lacs Amer où le paquebot mouille.
Les lacs Amer, situés à peu près à mi-chemin, sont le point où se croisent les bateaux, les uns venant de la Mer Rouge, les autres cap au Sud, partis de Méditerranée.
Lorsque le convoi montant est passé, nous appareillons direction Suez.
Et voici la Mer Rouge...

A suivre.
A plus, les amis.

Je ne peux imaginer sous ces latitudes, à l'époque pas si lointaine de la chauffe au charbon, ce qu'était le calvaire des soutiers balançant leurs pelletées devant les foyers incandescents.
La soif nous tenaille. Il n'y a que de l'eau à boire, l'eau des tanks, insipide, chaude.
Un marin du paquebot, malin, nous propose pour quelques sous une boisson de sa composition baptisée "boisson rafraîchissante".
Il ne s'agit que d'une sorte de grenadine très diluée qu'il puise à la louche dans une immense bassine.
Quoique tiède, cette "boisson rafraîchissante" est nettement meilleure que l'eau des tanks.
Voici Djibouti.
Curieusement, les mouettes sont ici noires comme des corbeaux.
Le long de la jetée, une file de taxis d'un autre âge, découverts, ornés de housses blanches en dentelle, incitent à une visite de la ville.
La région est d'une aridité absolue, le sel affleure la surface de la terre.
Maigres les chèvres qui survivent dans cette désolation, maigres les indigènes, maigre la ville, maigres les distractions.
La chaleur est écrasante, omniprésente.
Pour étancher sa soif, pas d'eau douce mais de l'eau saumâtre, infecte.
Le seul bistrot sur l'unique place de la ville est le "Palmier en zinc" bien connu des coloniaux.
Raison sociale emblématique de cette région où seuls peuvent pousser les palmiers en zinc.
Attablés à la terrasse, nous assistons à la relève de la garde du palais du gouverneur.
Stupeur !
Les tirailleurs de la garde portent la chéchia rouge, sur la peau une grosse vareuse de laine kaki au col boutonné ras-le-cou, un short en toile.
Sur les jambes, des bandes molletières et les pieds... nus.
Un antique fusil sur l'épaule, ils défilent au pas, présentent les armes et prennent leur poste tandis que la garde relevée s'en va.
Manifestement, on retarde ici de cinquante ans sur la métropole.
Je ferai la même observation aux Indes et à Saïgon.
La lenteur et la pauvreté des liaisons expliquent ce décalage.
L'avènement de l'avion et le tourisme de masse du dernier quart du vingtième siècle remettront les choses à niveau au détriment de la "couleur locale" (et des mentalités).
Le soir, nous allons rôder dans les quartiers chauds.