Et pourtant !
Le Maître Fourrier : "Monsieur Champetier, Monsieur Champetier, venez chercher votre solde, je vous prie, cela fait deux mois que vous ne l'avez pas prise."
ECDRC (c'est plus rapide): "Champetier des Ribes Christofle, Maître, s'il vous plait.
Ma solde ? Pour les pauvres !"
Le tout, avec la main désinvolte volant en l'air.

Le bidel (23 ans de marine, jeune maître, un mètre 65, 85 kilos) :
"CDRC, votre chemise (la grise à liseret blancs) est usée et déchirée, changez - en et revenez me voir !"
Il le fait et se représente au garde à vous, vêtu d'une chemisette neuve, portant encore les plis de fabrication.
Le bidel est heureux.
CDRC se retourne et part.
Il avait découpé la chemisette dans le dos, laissant ses omoplates visibles.
Le bidel le rappelle et l'engueule.
CDRC répond : "Attention Bibi, attention, il ne faut pas vous mettre en colère comme ça, vous allez attraper un coup de sang.
Et si cous continuez, je le dirais à mon tonton, celui qui a plein d'étoiles sur ses manches et il vous grondera.
Au revoir, Bibi."

Cela, je ne l'ai pas vu, on me l'a raconté :
QM2 radio, CDRC était capable de prendre le morse à l'écouteur, tout en tapant et parlant aux autres, la clope aux lèvres et le tuyau de plastique entre les dents, amenant le coup de rouge se trouvant dans la gamelle située au dessus du poste récepteur.
Le Maître radio dont je ne me souviens plus du nom, mais surnommé Zéro tonne cent dix sept, à cause de son poids, était fou de rage.

D'autres noms dont je me souviens:
Un second maître fusiller, sympa (Ahran, celui qui, lorsqu'il allait à terre demandait que l'on écrive sur le cahier Ahran sort.)
Le bidel, le remplaçant du premier, Henri, ancien moniteur au cours de combat. Jugulaire jugulaire.
Il m'a foutu une tête au carré, car il faisait la sieste dans sa cabine, le recoin près de la passerelle tribord, et j'avais commis le crime de lèsehenri de faire du bruit (c'est vrai) pendant la sieste.
Le Maître canonnier Jean Kervella, 25 ans de marine, qui aurait pu faire le quart de nuit, à bâbord.
Le maître bosco Vern, surnommé Jules, bien sûr!

Les gars de l'équipage dont je me souviens : Quartier maître radio Roland Dieudonné, mon pote, matricule 6213232, code radio DDN.
Comment puis-je me souvenir de cela ?
QM2 au bout de 5 ans, pas un jour de tôle.
La marine, ras le bachis, a t'il dit.
Il est parti dans les paras et Gaulard (viré de la marine et engagé légionnaire, 25 ans de service comme caporal) que j'ai recontacté par téléphone, m'a dit l'avoir rencontré un jour à Aspretto, comme major.
Il y avait Alain Perdreaux, radio, parisien (code PDX)

Roger Rogelin, bosco amputé du doigt et passé électricien, Palewski, dit Ludu, un (faux) dur, notre ami René Vallet, Serge Leroi, détecteur, qui préférait la bouteille à l'alidade, Pierre Brisset, DSM que j'ai retrouvé sur le Ch. Paul et qui doit avoir fait carrière, Pierre Duflot, un parisien, Elarm, Madani et Lambert, deux jeunes timoniers, sous les ordres de Ouaoua, Ouazine, qui avait fait le La Pérouse avant et qui a poursuivi comme gardien de prison, tout comme mon chef direct, le SM radariste Nicolas LePage, sorti droit de tôle pour aller au cours de chouf et droit de tôle pour venir sur le BB.
Serge Remon, viré disciplinaire et médical, mais un mec de première.

Pernot, un QM que l'on appelait Pastis, car on avait beaucoup d'humour...
Michel Piotroswki, un sacco, Napoléon Omphaléou, un con golais, Qm sacco qui pensait être l'égal de Jupiter.
Gourdon, un fusible, responsable de la coop, LePicard, chouf qui ne s'est pas rasé durant ses 23 mois et qui, lorsqu'il l'a fait, en débarquant, a fait rire tout le monde tant son visage était poupin, imberbe et dur, poilu.
Il y avait aussi Gaulard, bosco dont j'ai déjà parlé et Alain Kerkeling, un brave de l'assistance publique, ancien de la vedette (Persévérance ?) donnée aux Ivoiriens. Il signait KKK.
Pas par racisme, mais comme kartier maître kanonnier Kerkeling.
Arsène Lasbleiz, un chouf rouquin électricien qui est passé SM, Pommaret, un chouf fusible et Tran Mhan Sung, un chouf timonier vietnamien, portant la barbiche.
Il a fallu le retenir car il allait tuer un gars qui avait trouvé malin de lui couper son petit bouc composé de 50 poils, mais long comme une main.

Les cuistots, Bas, dit LaRouille et Catois, de Dreux, un mécano chouf au dessus de 15, Mauduit, une crème; Rigot, un appelé, coiffeur, Petitdemange, maître d'hôtel, PetitBidon, le boy qui s'est ramassé un portemanteau dans le dos à Douala.

Chez les officiers, EV1 Lucas, radariste, ancien pompon rouge, EV2 Leboulluec, que j'ai retrouvé par la suite, dans le civil (le mien) CC commandant d'une escadrille, rerevu 5 plein et qui a du finir **.

Kuntz et O'Neil, deux EV1 pas marrants qui sont passés dans l'aéro, comme Leboulluec et qui se sont tués en vol.
Le docteur Dutertre, fameux par sa place, assisté du QM infirmier Monluc, ancien du Colbert avec moi, guadeloupéen, remplaçant, d'un vieux chouf, surnommé Pticlope, à cause du mégot collé à ses lèvres, mm en faisant des piqures.
Aspirant Petifaux, un mètre 90, 120 kilos, qui faisait monter sa Buick par la grue. Geny, aspirant docteur. Bien sûr, Geny va vous sauver la vie... combien de temps l'a t'il entendu...

Beau, le CC, second, pas mon copain.
Bourgain, le Cdt, un type de premier, tout comme Bargain, le 5 panaché hydro. son équipe, PM LeCozanet, un maître, rond jovial, avec un U dans son nom, le PM Sainte Rose, hydro.

Lors du pot de sa promotion, les pichets ricard étaient vides (d'eau).
Va en chercher a t'on crié.
J'y suis allé.
Les gars se sont servis, (si, on mettait de l'eau dans le pastaga).
Ils ont tout craché.
Qui c'est le con qui a mis de l'eau de mer ?
C'était moi.
Ben quoi, on m'avait pas dit, moi, que les robinets rouges à incendie, c'était de l'eau de mer.
Je me suis ramassé une biture, ma seconde, un an après ma première en fêtant mon BE.
L'après midi, barcasse pour Gorée.
J'y vas ! Beurré, je plonge du mauvais côté, vers Dakar, pas dans la darse.
Je ne dis pas le sang.
Pissant de partout.
Aujourd'hui, j'en garde encore une cicatrice sur la poitrine...

Et n'oublions pas le membre le plus important de l'équipage : Sissou !

Exercice de tir avec le 105 avant, le seul restant, en plus des mitrailleuses suédoises Oerlikon et des 40 mm Bofors, pas ceux de l'échelle...
Canon 105 avant, un peu vieux, probablement mal et peu utilisé, des munitions de dimensions approximatives (non correspondance entre métrique européen et impérial britannique).
De la passerelle : Feu!
On tire.
Rien !
Long feu.

Comme un jeune godelureau tout heureux de sentir la poudre (?) et d'entendre un gros boum, je vois, de la passerelle où je me trouvais et où je n'avais strictement rien à foutre, les pointeurs immobiles, regardant la passerelle, comme si la solution venait de là.
Soudain, KKK se précipite sur la culasse, l'ouvre, ressort l'obus, le prend à bras le corps et court vers la lisse.
Il le lâche et ce dernier tombe dans la mer.

Voyant ceci, la Maître canonnier, crie : "Ma charge, ma charge", tel L'avare pleurant sa cassette.
En manifestant pour sa charge, je me demande encore, 46 ans après, (mon dieu, faut y pas !!!) s'il craignait pour une disparition entre l'existant réel et ce qui correspondait sur papier ; ou si c'était de la charge explosive dont il se lamentait.
Il braille et gueule après KKK qui se retient, vu le panel de beau monde en haut de ne pas l'envoyer braire.
C'est alors que l'on entend, venant de la mer, l'obus qui explose.
Inutile de dire que si KKK n'avait pas sorti l'obus percuté mais n'étant pas parti, c'est tout l'affut qui se retrouvait au fond de la mer, servants compris, voire avec d'autres de la passerelle.

Un officier interpelle KKK et lui demande de grimper.
Nous donnons tous l'impression d'être terriblement occupés et vaquons à nos occupations, du moins, prétendons.
KKK monte et est pris à part par le Cdt.
Fin de l'histoire.

KKK nous rejoint le soir au poste pour la soupe mais rien ne sortira jamais de ses lèvres quant à la suite donnée.
Plusieurs mois se passent.
KKK, d'autres et moi sommes mutés sur le La Pérouse qui remonte en France.

Cherbourg, débarquement.
Je pars en perm, et lui rentre dans ses foyers, qu'il ne possède d'ailleurs pas encore.
Il veut aller à Issoire (Puy de Dôme) pour y être ambulancier.
Nous prenons le train ensemble de Brest à Paris, là nous nous séparons, moi Austerlitz, lui Lyon; et je ne le reverrais plus jamais.

Dans le train, nous parlons de la pilule et du beau temps.
La conversation vient sur cet incident :
Le Vieux, dit-il m'appelle.
Il me fait entrer dans sa cabine et vire poliment le Maître d'Hôtel, tout heureux de rester dans les appartements, pour partager avec son officier l'air conditionné du bord, le seul, avec le poste radio.
Il me fait assoir et m'offre un verre, je ne comprend pas.
Il me pose des questions sur moi, mon avenir, mes intentions royale.
Je lui dis quelque chose du genre 5 mois au jus, je quitte.
La conversation, décontractée,du moins pas ce à quoi je m'attendais, est plus que cordiale.
Alors, le Cdt revient sur l'incident, il me félicite de mon initiative et dit qu'il notera sur son livret cet acte intelligent, courageux... et réglementaire.
Il ajoute qu'il est surpris de constater que, parmi la demi douzaine de gonses sur l'affut, seulement moi, ai pensé à la sécurité.

KKK rajoute que, comprenant qu'il ne sera pas sur la peau de bouc, qu'il n'y aura pas de rapport (normalement, c'est le Second qui gère ce genre de choses), il s'apprête à partir.
Le Cdt le retient et lui dit que, s'il le désire, il le fait entrer au cours de chouf et lui propose son appui.
KKK persiste, pas de cours.
Le Cdt ajoute, avant de lui serrer la main et de le reconduire, qu'il veillera personnellement à ce que le maître canonnier ne soit plus jamais embarqué comme responsable d'armes et finira sa carrière à terre, dans des postes administratifs.

KKK n'a jamais parlé de quoi que ce soit durant les mois restant avant sa quille et connaissait probablement mieux que l'intéressé la route professionnelle que le maître allait prendre.
Il ne m'en a parlé probablement parce qu'il savait qu'à ce moment, il n'était plus réellement sous l'uniforme et que relater de telles choses était sans implication quelconque.

Une belle preuve de grandeur.
Chapeau Alain !