Sur la rive Asie du Canal, face à Port Said, il y avait des entrepôts frigorifiques qui avaient été attaqués par notre aviation, une partie des bâtiments avait cramé.
Nous avons un peu exploré les lieux, j'ai même bousillé mes chaussures à escalader des décombres de cendres et de gravats semés de boîtes de conserves éclatées.
C'était ma corvée à moi, les potes en pataugas de toile n'auraient pas escaladé bien loin.
Et il y avait des recoins intacts, à explorer.
On a trouvé des ananas au sirop, des caisses de gin et de whisky.
Et tout un stock de dindes congelées, en grand péril de devenir non consommables.
Nos gradés ont vite réagi.
Un LCM nous a été attribué, pour sauver ces divers articles.
On appelait çà faire de la récupération.
Pour les dindes, ça urgeait, les frigos avaient cessé de fonctionner le 6 Novembre, nous étions le 27.
On a distribué de la dinde de récupération à tous les navires accessibles.
Pour le whisky et le gin, l'urgence n'était pas la même, ni pour la bière Amstel.
Mais quelqu'un a fait observer que les Égyptiens ne buvaient pas d'alcool, et qu'il fallait leur épargner la tentation !


Ce soir là, c'était réveillon, on a servi de la dinde sur la RANCE.
C'était toujours ça de pris, pour le vrai réveillon de Noël, ça allait être beaucoup plus miséreux, sur le besogneux chemin du retour.

Quelqu'un a dit que c'était quand même dommage de se morfaler de la dinde, comme ça, pour aucune célébration.
On a cherché quel évènement mémorable s'était produit, un 27 Novembre.
Et on s'est souvenu du sabordage de la Flotte en 1942.
C'était pas vraiment un heureux évènement, mais on a célébré cette date avec nos dindes.

Le reste de la soirée a été agité, dans la cuve de la RANCE où étaient nos tablées et nos couchettes. Un rigolo a vidé dans un casque lourd, pèle-mêle, du whisky et du gin, et le hanap improvisé est passé de bouche en bouche, regarni au fur et à mesure.
Quand tout le monde a été beurré, ça a dégénéré. Nous supportions depuis TOULON un matelot ch'timi, pas du tout sympa, qui jouait les caïds.
Il s'est ramassé une mémorable raclée collective qui l'a calmé pour le reste du séjour.
J'ai eu du mal à escalader les cinq niveaux de bannettes, pour me retrouver dans mes couvrantes.
Le lendemain matin, la rigolade a été intense, quand notre crab'chef sympa, soigneux de sa personne, a poussé une gueulante, parce qu'il avait retrouvé sa bouteille d'eau de cologne vide.
Quelqu'un l'avait vidée dans le casque, avec le reste de la mixture!

Une sacrée célébration du sabordage !

(Et... c'est demain l'anniversaire !)

L'entraînement reprend le 25 juin et le 17 juillet, décollage pour l'Algérie et Telergma, dans le Constantinois avec tous nos Corsair, une vingtaine.
Missions variées à partir d'un terrain en grilles, très poussiéreux, et pour ne rien arranger, en altitude.
Bombardements, straffing et roquettes en appui des troupes au sol.
Retour à Hyères le 16 août, relevés par une autre flottille de Corsair.

L'entraînement reprend dés le lendemain avec des ASSP (appontages simulés sur piste) et nouvel embarquement le 28 août sur le Lafayette, notre PA préféré, au large de l'Algérie.
Entraînement navigation, exercice avec l'Eagle, etc...
Retour à Hyères le 2 octobre.
L'entraînement au bombardement reprend de plus belle sur le champ de tir du Levant, avec, par ci par là des appontages sur le Laf.

Le 22 octobre, je suis embarqué de nuit sur un MD312 avec 3 ou 4 autres pilotes vers Bizerte.
Le lendemain, nous prenons des avions à la 12F et à la 14F et nous allons apponter sur le Laf...
Nous revenons mouiller à Bizerte.
L'ambiance était bizarre, mais nous ne savions absolument rien de ce qui se tramait.
Le soir du 27 octobre, nous les Off Mar pilotes étions réunis dans la baignoire balcon de notre poste, tout à l'arrière du PA, juste sous le pont d'envol, et face à la petite armada présente dans l'avant port de Bizerte, nous essayions d'interpréter les multiples signaux optiques qui s'échangeaient entre navires.
Nous avons cru détecter qu'un retour sur Toulon était ordonné.
En effet, à 21H toute la flotte appareille et nous allons rejoindre nos bannettes, certains d'arriver le lendemain devant Toulon.
Après le réveil et le petit déjeuner, nous rallions par le pont d'envol par un temps superbe, la salle d'alerte avant des pilotes.
Mais nous constatons avec étonnement que le soleil levant est droit devant nous, que nous faisons donc route à l'est.
En matinée, le Cdt du PA apprend à l'équipage le but de notre mission et les intentions de la France.
Les briefings se succèdent avec des officiers de liaison de l'armée de terre pendant les trois jours qui précèdent notre arrivée au large de Port Saîd.
Distribution de cartes de navigation d'Égypte, connaissance des endroits stratégiques et des points connus de DCA, distribution de matériels divers de survie, instructions sur les divers avions égyptiens, (il y avait, parait-il, plusieurs centaines de MIG qui se sont avérés plus tard être des maquettes leurres en bois !).
Quelques vols techniques ont lieu qui nous indiquent qu'une très grandes quantité de navires de tout poil, français, anglais et américains naviguent de concert vers l'est.
Pendant la traversée, nous naviguions un jour très prés du Cassard pour du ravitaillement et des échanges divers.
Mon frère aîné était SM timonier à bord, et j'ai réussi à attirer son attention.
Nous avons communiqué à l'aide d'un morse improvisé en ouvrant et en refermant plus ou moins vite la main.
Comme il s'étonnait de voir nos avions en train de se faire barioler de bandes jaunes et noires, je lui appris l'objet de notre mission.
Eh bien, l'équipage du Cassard n'avait pas encore été mis dans la confidence !!
Le 30, nous arrivons au large de Port Saïd.
La suite à demain...