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    Message par bertrand robert fils Lun 8 Déc 2008 - 19:34

    Les bras et les poches chargés de bouteilles volées dans les maisons détruites.
    Elle le supplie de nous tirer d'affaire.
    L'ivrogne casse toutes ses bouteilles sur les animaux qui reculent et prennent une autre direction.
    Mais il n'a plus rien à boire, il s'en prend à nous et nous insulte.
    Nous croisons sur la route un couple qui détrousse les morts.
    Dans un village, anéantis de fatigue, nous dormons dans une grange emplie de monde.
    Le couple immonde s'installe près de nous pour la nuit.
    Au petit jour, il a disparu, emportant toutes nos affaires.
    Maman n'a même plus un lange pour changer Yvette.
    Nous n'avons plus de chaussures, nous marchons pieds nus.
    Bientôt nos pieds saignent.
    Maman nous dit de marcher sur l'herbe, ce qui atténue la souffrance de nos pieds meurtris.
    Nous rencontrons à nouveau le couple voleur et détrousseur de morts.
    Ils fouillent les cadavres.
    Maman indignée leur dit que si les Allemands les voient, ils seront fusillés.
    Ils lui répondent par des menaces de mort.
    Notre peur est telle que nous obliquons en plein champ pour les éviter.
    Nous les revoyons plus loin avec une voiture attelée d'un cheval et chargée de fauteuils et de beaux meubles volés.
    Maman n'ose plus rien leur dire.
    Un convoi allemand s'arrête pour nous donner des tartines de pain noir beurré.
    Nous mangeons nos pommes acides ramassées sous les arbres de la route, ce qui atténue notre soif. On nous dit que les puits et les fontaines sont empoisonnés.
    Une vieille femme debout devant sa maisonnette vend à maman un seau d'eau de sa pompe au prix du vin.
    Maman a attrapé la jaunisse et Yvette qu'elle allaite est aussi jaune qu'elle.
    A l'orée d'un bois des hommes jeunes en cotte bleue sont ficelés aux arbres, leur tête pend d'un coté.
    Ils viennent d'être fusillés.
    Peut-être des francs tireurs ?
    Maman nous dit de ne pas regarder, mais nous passons trop prés pour ne pas les voir.
    Dans les champs, toujours des soldats morts reconnaissables à leur culotte rouge et beaucoup de chevaux enflés et couvert de mouches.
    Maman dit : Encore un malheureux qui est mort en voulant boire.
    Le long des ruisseaux verdoyants des blessés se sont traînés et sont morts la tête dans l'eau en essayant d'étancher leur soif.
    La chaleur est torride, rarement un été a été si beau.
    Je m'approche d'un soldat mort au bord de la route.
    Il est beau, blond, imberbe, grand et fort, il semble dormir face au soleil.
    Aucun insecte sur lui, il vient de périr peut-être.
    Ses traits resteront gravés en moi.
    Dans un village des Ardennes, maman demande à une paysanne si elle peut nous donner à manger.
    Elle vient de cuire une grosse marmitée de pommes de terre pour ses cochons.

    Page 6...


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    Message par bertrand robert fils Lun 8 Déc 2008 - 19:38

    Affamés, nous dévorons ce que maman appelle des canadas à la girafe parce qu'ils sont attachés au fond.
    Nous les trouvons délicieux et la vieille ne veut pas être payée.
    Dans une petite ville, un soldat allemand chausse les pieds saignants de mes petits frères dans un magasin dévasté il nous indique une salle où nous pourrons passer la nuit.
    Il s'agit d'une mairie et les tentures de soie et de velours servent de couvertures.
    Nous devons avoir l'air bien minable pour que les ennemis cherchent à nous rendre service.
    Enfin, nous voilà rentrés à Floing.
    Nous avons fait cent dix kilomètres à pied en trois jours.
    Notre maison est pillée, les ateliers de mon père brûlés.
    Il venait de les faire construire en s'installant constructeur mécanicien.
    Un chat arrive vers nous, le poil roussi, brûlé, méconnaissable, il miaule.
    Maman dit : C'est ben not'chat.
    La pauvre bête a failli être brûlée vive.
    Si elle n'avait eu une oreille coupée au ciseau par Roger, nous ne l'aurions jamais reconnue.
    La lapin blanc d'Aurélie Lahobette, notre voisine est mort de faim dans son cagibi.
    Une vieille dit à maman : Marie, tu ne devineras jamais qui j'ai vu au petit jour sortir de ta maison les bras chargés d'affaires.
    Maman lui répond qu'elle préfère ne jamais le savoir.
    Elle apprend que sa sœur Julia est très malade.
    Seule, son mari étant à la guerre, elle vient d'avoir son cinquième enfant.
    Transportée à l'hôpital de Sedan, un major allemand déclare qu'elle a le tétanos.
    On a relevé sur les fumiers de Floing une dizaine de soldats blessés qui viennent de mourir à l'hôpital de cette terrible maladie.
    Les religieuses qui la soignent ne laissent aucun espoir à maman.
    Avant de mourir ma tante qui n'a pas vingt cinq ans et dont la mâchoire est paralysée à force de recommander ses cinq petits à ma mère.
    Nous voilà onze à la maison.
    Tout manque.
    On brûle de la tourbe pour cuire les aliments.
    On grille des glands de chêne, très amers, pour remplacer le café.
    Les Allemands ont tout pris, tout réquisitionné.
    Les vergers et les champs sont gardés par des gardes ennemis.
    On ne nous laisse que les lisettes sorte de betteraves pour les animaux, voisins des rutabagas.
    Je les trouve détestables cuits à l'eau et sans graisse.
    Je ne peux plus les manger et je reste sur ma faim.
    Aimé réussit à tuer un oiseau au lance-pierres.
    Il pêche des loches dans le ruisseau.
    Nous apprenons qu'un ermite qui vit au Four à Chaux vend de la graisse.
    Les gens se ruent chez lui.
    Cette graisse est nauséabonde et mousse terriblement en cuisant.
    Nous ne saurons jamais ce que c'est exactement.
    Aimé a repéré un champ planté de pommiers.

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    Message par bertrand robert fils Lun 8 Déc 2008 - 19:43

    Nous partons tous les deux avec un sac en toile de jute.
    Nous nous coulinons par le trou d'une haie et ramassons en hâte les pommes tombées.
    Mais un garde nous sur prend et nous emmène au commissariat de police allemand.
    Chemin faisant, nous croisons un jeune officier, genre freluquet, maniant une cravache.
    Il s'arrête et nous dit en bon Français : Hé ! Bonjour les enfants vous avez un chapeau prussien, un chapeau d’ Allemand.
    Il demande à Aimé s'il aime mieux l'Allemagne que la France.
    Aimé baisse la tête et ne répond pas.
    Il a sur la tête un calot qu'il s'est fabriqué avec le bas d'une culotte allemande que le tailleur militaire d'en face avait jeté sur le pavé.
    L'officier discute en Allemand avec le garde qui nous laisse partir chez nous après nous avoir rendu notre sac de pommes.
    Nous sommes bien contents de nous en tirer à si bon compte.
    Il y a à Floing deux chefs de culture allemands qui emploient les femmes et les enfants de plus de treize ans aux travaux des champs pour l'armée allemande.
    Maman est dispensée parce qu'elle a onze enfants à s'occuper.
    Ces deux chefs passent pour être peu commodes.
    La population les a sur nommés : Barbe à Poux et Barbagnasse.
    Un jour Barbe à Poux rencontre, une amie de maman et lui dit : Bonjour, Madame.
    Elle répond : Tais ta gueule !
    Le lendemain, il la croise et lui dit : Bonjour, madame Tais ta gueule.
    Il ne manque pas d'humour.
    Dans l'allée des Soupirs, je me promène avec Renée qui pousse le landau d'Yvette.
    En haut de la côte, Renée a l'idée saugrenue de faire dévaler la voiture sur la pente du chemin plein d'ornières, Yvette dort.
    Elle se réveille en hurlant au fond d'un fossé, la voiture retournée sur elle.
    Elle a le nez brisé.
    Pendant des mois et des années maman lui massera le nez pour lui rendre sa forme.
    Robert est un bel enfant de quatre ans, mais il est terrible.
    Il tombe en jouant d'une hauteur de deux mètres sur les pierres énormes du ruisseau de Floing.
    On le ramène évanoui, le sang coulant d'une oreille.
    Un major allemand l'examine.
    Il n'y a plus de médecin à Sedan.
    Par la suite du pus lui coulera de l'oreille et par la suite son intelligence ne se développera pas normalement.
    Maman apprend qu'en Belgique on trouve encore à manger.
    Elle nous fait garder par Félicie Josserand, une jeune fille que j'aime bien, et s'en va dans la forêt la nuit avec des femmes de Floing.
    Il faut prendre beaucoup de précautions pour ne pas se faire pincer.
    Les prisons de Sedan regorgent de prisonnières qui ont été prises en flagrant délit.
    Se croyant des martyres dans leur geôle, elles ont inventé des chants patriotiques dont le plus célèbre, aux nombreux couplets, a un refrain :

    Courage, braves Ardennais,
    espérez la victoire,
    car nos soldats Français
    reviendront couverts de gloire,
    heureux vous retrouverez
    Vos amis et vos frères,
    Heureux vous retrouverez la liberté.


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    Message par bertrand robert fils Lun 8 Déc 2008 - 19:48

    A l'aube, maman ramène de Belgique quelques provisions.
    Les Belges ont encore à manger grâce à leur Reine qui est Allemande.
    Maman a obtenu un laissez passer de la kommandantur pour faire le commerce des légumes, seules denrées encore trouvables.
    Au fond de la voiture d'Yvette, elle cache quelques paquets de tabac, de chicorée et de café que lui a procuré la contrebande en Belgique et va les vendre à Sedan à des personnes sûres.
    Yvette est installée sur les marchandises, entourée de quelques bottes de légumes.
    Un jour, la voiture se renverse juste devant la sentinelle postée devant la Kommandantur.
    Tout le chargement tombe à terre, Yvette y compris.
    Maman ramasse le tout en vitesse sous les yeux de la sentinelle qui regarde et ne bronche pas.
    Elle l'a échappé belle.
    Elle se livre à son petit commerce, souvent partie la nuit en Belgique avec d'autres contrebandières pendant que nous dormons gardés par Félicie Josserand.
    Mes petits cousins orphelins sont confiés à une vieille femme de Floing qui a toujours élevé des enfants, maman ne pouvant plus se débrouiller avec onze enfants à la maison et son commerce.
    Surtout que Félicie fait aussi de la contrebande certaines nuits.
    J'aime beaucoup Félicie.
    Depuis longtemps, je l'admire le dimanche quand elle se promène avec sa sœur Célestine, toutes deux vêtues d'une jupe plissée bleue, d'un corsage blanc brodé et d'une capeline couverte de cerises.
    Un soir, je vois maman visser un verrou à sa porte.
    Aidée de Félicie, elle traîne des caisses de vaisselle pour l'obstruer.
    Ces préparatifs sont destinés à les réveiller en sursaut au cas où un gros officier allemand forcerait la porte.
    Il a déclaré qu'il viendrait : à onze heures du soir porter des boites de fleisch pour les petits gazons.
    Maman a eu peur.
    Je ne dors pas.
    A vingt trois heures, des coups de bottes ébranlent la porte du couloir.
    Quand le silence revient, nous relevons la couverture tendue devant la fenêtre (pour respecter le couvre-feu), et à la clarté lunaire nous voyons le gaillard les bras chargés de boites de conserves qui s'en va.
    Le lendemain il est à cheval devant La Vierge de Floing et lance à maman qui pousse sa voiture un regard mauvais.
    A dater de ce jour, elle s'habille en vieille femme pour dissimuler sa jeunesse et éloigner les convoitises.

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    Message par bertrand robert fils Lun 8 Déc 2008 - 19:54

    Nous avons des voisins allemands en bas, des soldats paisibles et bien élevés.
    Un jour, je vois entrer un grand diable qui me demande un bésoum en faisant de grands gestes de balayage.
    Je devine qu'il veut le balai.
    Chaque jour, il monte le chercher et le rapporte.
    Je l'appelle le grand Bézoum.
    Il rit de son surnom.
    Quand il est assis dehors le soir il me prend sur ses genoux et me dit que je ressemble à sa petite sœur.
    J'ai sept ans et c'est la deuxième fois que je suis assise sur les genoux de quelqu'un.
    Il s'appelle Houber Boda.
    Le boucher de Floing s'appelant Baudat, grand Bézoum est donc presque un pays.
    Il veut à tout prix m'apprendre l'allemand et commence par me faire répéter l'alphabet et à compter jusqu'à vingt.
    Mais exprès pour bien lui montrer que je ne pourrai jamais devenir Allemande, je répéte tout de travers.
    I1 ne m'en veut pas.
    Il comprend très bien ma pensée et n'insiste pas.
    Les autres soldats, Fritz Schében et Emil Ludwig sont plus réservés.
    Hermann Hoffmann un jeune et très gros cuisinier fait d'énormes pots au feu sur la place dans une lessiveuse immense pour nourrir le bataillon.
    Parfois quand je hume la bonne odeur de bouillon avec mes frères et que personne ne le voit, il sort prestement un os garni de viande et nous le tend.
    Nous détalons avec notre trésor.
    La veille de son départ pour le front, Hermann Hoffmann surgit chez nous et dépose sur la table un énorme tas de graisse de boeuf, il se sauve aussi-tôt, tout bouleversé de partir au front.
    L'école a rouvert ses portes.
    Mademoiselle Weyland qui a fait l'école à maman reçoit tous les enfants dans une seule classe.
    Elle est d'origine Alsacienne.
    Elle est très sévère.
    Nous devons nous lever et nous mettre au garde-à-vous quand un instituteur allemand, un grand roux,
    pénètre dans la classe, ce qui ne nous plait pas du tout.
    Il nous dit que lorsque nous serons Allemands, nous recevrons la schlagg comme tous les écoliers Allemands.
    Je sens la colère monter en moi.
    Un jour, n'y tenant plus avec mes camarades, nous allons dans les champs cueillir des bleuets, des marguerites et des coquelicots.
    Nous en faisons des bouquets tricolores aux couleurs du drapeau et nous les attachons aux volets de l'instituteur.
    Le lendemain, il les a enlevés.
    Nous recommençons à attacher d'autres bouquets bleu blanc rouge.
    Il nous guette.
    Nous nous sauvons mais avec ses grandes jambes il nous rattrape.
    J'ai peur d'une de ces raclées terribles que je me souvenais avoir reçues de mon père.
    A ma grande surprise, il nous parle gentiment en français et nous dit qu'une fois rentré en Allemagne quand la guerre sera finie il dira à ses élèves comment les petites Françaises étaient patriotes.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 8:08

    Aimé jusque-là en retard à cause de ses convulsions, a rattrapé et dépassé les autres élèves.
    Mlle Weyland lui dit : Bertrand, quand ton père reviendra de la guerre, je lui dirai que tu es un Phénix.
    Roger a appris que les Boches donnaient du saindoux aux gamins qui se laissaient faire une tonsure en croix sur leur crâne.
    En cachette de maman il y va et revient avec du saindoux et la tonsure.
    Maman est très mécontente.
    J'aperçois un Allemand, un gringalet, assis sur la pierre du pont.
    Il est Alsacien, il est venu voir sa grand-mère à Floing.
    Il me dit que l'Allemagne gagnera la guerre.
    Je lui soutiens le contraire en frappant du pied, mais il insiste et je me dispute avec lui sans vouloir céder.
    J'accompagne maman qui va voir les enfants orphelins de sa sœur.
    L'avant dernier qui a deux ans est debout.
    Il est triste, maigre, il a le gros ventre, il regarde à ses pieds une assiettée de pommes de terre.
    Il meurt quelques jours après.
    Le dernier né le suivra de peu dans la tombe.
    Les trois plus grands qui sortent, trouvent à manger près des soldats, survivent.
    Quand un bataillon fait halte, je répète devant les soldats : Six kinn ! six kinn ! avec un mouvement de la main qui gradue la petitesse de chaque enfant de ma famille.
    On me donne des bonbons, du chocolat en petites quantités que je rapporte à la maison.
    Sur les hauteurs, je regarde des soldats manger leur soupe.
    L'un d'eux, l'air triste, me tend sa gamelle dont je me régale, une soupe aux pâtes et aux pommes de terre.
    Il y a bien longtemps que j'ai aussi bien mangé.
    Maman a pu trouver en Belgique une demi-livre de beurre, à prix d'or.
    Elle me charge de faire l'article pour le vendre.
    Je monte la grand-rue.
    Chaque paysanne veut goûter le beurre pour voir s'il est bon et vaut son prix.
    Quand je reviens chez nous tout le beurre est mangé et je ne rapporte pas un liard.
    Heureusement, maman est bonne et ne m'attrape pas.
    On s‘éclaire à la maison avec une bobèche d'huile de foie de morue qui dégage une mauvaise odeur en brûlant.
    Après la moisson faite pour les Allemands, nous allons glaner les épis perdus.
    Nous moulons les grains de blé dans un moulin à café et nous mangeons enfin un pain que nous trouvons délicieux.
    La mère Muller, une Luxembourgeoise de Floing se bat sur la place avec d'autres femmes.
    Un Allemand leur a donné un fromage et toutes le veulent.
    Il y a un crêpage de chignons, le fromage est écrasé dans la boue et immangeable.
    Maman trouve honteuse cette bataille de femmes.
    Avec mon amie Juliette Gourdin, je suis à la trace un Allemand qui porte une roue de gruyère sur une épaule.
    Il s'arrête dans le magasin à provisions allemand,

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 8:14

    Prend un grand couteau, taille deux grosses tranches et nous les apporte.
    Nous avons le nez collé à la vitre.
    Oubliant de le remercier, nous nous sauvons dans les champs savourer notre aubaine.
    J'ai si faim que je pense tout manger mais mon estomac de sept ans rétréci par le jeune ne peut en absorber que la moitié.
    Je rapporte le reste à la maison.
    Dans la ferme de Juliette, les Allemands ont installé une coopérative gardée par un militaire. Pendant des heures, je guette l'instant inévitable où, il se rendra aux latrines pour bondir et m'emparer de poignées de bouillon kub et de pfennigs.
    Je me sauve dans un champ pour déguster les kubs, mais c'est vraiment trop salé.
    Je rapporte presque tout à la maison et la monnaie en disant à maman qu'on me les a donnée.
    Renée qui est partie une nuit en Belgique avec une femme de Floing est arrêtée et fouillée par les uhlans qui trouvent sur elle un paquet de café.
    Du sentier de la forêt elle est ramenée à la kommandantur à Sedan, mais elle n'a pas onze ans et on n'emprisonne les enfants qu'à partir de treize ans.
    Maman est prévenue d'avoir à faire la prison à sa place.
    Elle part avec Yvette et en dépit de sa grande timidité elle entre dans le bureau du commandant et lui déclare qu'elle veut bien faire de la prison, mais avec ses six enfants.
    Il lui répond que c'est impossible.
    Maman lui dit qu'elle a juré à son mari quand il est parti à la guerre qu'elle ne se séparerait jamais de ses enfants.
    Elle invente cela pour se tirer d'affaire.
    L'officier ne veut rien savoir.
    Yvette, pendant cette discussion se traîne sur le tapis et fait ses besoins sous le bureau.
    Le commandant allonge ses bottes et les retire toutes gluantes.
    Il appelle son ordonnance pour les nettoyer et dit à maman : Retournez chez vous, Madame, demain j'enverrai les uhlans à votre domicile toucher le prix de la contravention.
    Ce qui fut fait.
    Chaque fois que maman fait le récit de cette scène, elle dits : Je leur ai tenu tête, j'ai été plus maligne qu'eux.
    Elle va voir la mère Gadan à La Cassine qui fait métier de prédire l'avenir.
    Celle-ci lui dits : Vous perdrez votre mari et si vous avez un jour un septième enfant, vous en perdrez un.
    Cette prédiction se réalisera beaucoup plus tard et en d'autres circonstances.
    Maman y croit.
    Elle pense qu'elle est veuve.
    Les Allemands font paraître une gazette en français à l'usage des Ardennais.
    Elle a lu que le fort d'Anvers où mon père était artilleur a été anéanti.
    Elle s'habille en noir et nous fait teindre nos vêtements.
    Dans ces vêtements noirs, nous avons tous mauvaise mine.
    On apprend qu'un ravitaillement américain va nous être distribué.
    Il s'agit d'un peu de lard gras et rance, de petit riz à volaille et de légumes secs très durs à cuire.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 8:18

    Nous allons chercher notre ration à la mairie, ration bien faible et de mauvaise qualité, mais qui nous permet de survivre.
    L'ancien maire de Floing qui n'a pas voulu frayer avec les Allemands s'est laissé mourir de faim, nous dit maman.
    Le lait est si rare qu'un jour on a vu une souris noyée dans le bol de lait destiné à la famille, on l'a consommé quand même.
    La Gazette des Ardennes nous apprend que Jules, le frère de maman est prisonnier en Allemagne.
    Sa femme née Lucie Erard que maman n'aime guère parce qu'elle est méchante, vient d'avoir un fils avec son voisin, le blanc Déca, un tuberculeux qui n'est pas parti à la guerre.
    Elle a déjà quatre filles.
    Maman dit que son frère Jules est si bon qu'il pardonnera.
    Une des filles Muller va chaque soir à La Cassine dormir dans le logement de sa sœur partie.
    Maman s'est aperçue qu'elle y recevait un Allemand.
    Elle avertit la mère Muller qui est si sûre de sa fille qu'elle ne veut rien croire.
    La troupe allemande est tout à coup rappelée pour monter au front.
    À la gare de Sedan, la fille Muller pleure et attend son Fritz.
    Une autre femme est désespérée, elle dit qu'elle ne se consolera pas du départ de son Fritz chéri.
    Toutes deux pleurent dans les bras l'une de l'autre jusqu'à l'arrivée des soldats allemands.
    Voilà mon Fritz s'écrie la femme, c'est le mien dit la fille Muller.
    Toutes deux se battent comme des chiffonnières.
    Pendant ce temps, Fritz s'embarque, tout heureux d'échapper à l'explication.
    La fille Muller aura une petite fille quelques mois plus tard.
    Je vois devant la kommandantur des soldats en tenue de gala rendant les honneurs à un prince allemand qui descend d'une superbe limousine, très beau, très droit, chamarré et décoré à outrance.
    Le commandant à qui maman à eu à faire va au devant de lui.
    Il parait que c'est un aristocrate pourvu d'une planque à l'arrière.
    Mettre ses pieds dans le caca cela porte chance.
    Le Kronprinz qui, lui, n'est pas beau a une maîtresse à Sedan.
    C'est la femme d'un libraire, une grande élégante au long nez, que son mari adulera après la guerre.
    Maman porte toujours ses vieux vêtements noirs de vieille paysanne pour se faire respecter des hommes.
    Elle a aboli toute coquetterie, pourtant elle est belle et jeune.
    J'ai découvert par la vitre d'une lucarne d'une maison abandonnée une grande poupée dans sa voiture.
    Mon rêve que je n'ai jamais eu !
    Je retourne chaque jour, tapie dans l'herbe haute, contempler ce trésor avidement convoité.
    Mais l'hiver vient, rude en Ardennes, je me résigne à rester à la maison près d'un feu de tourbe qui ne chauffe pas.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 8:23

    La discipline dans l'armée allemande est très dure.
    Sur la place, je vois un sous-off qui corrige à coups de fouet un soldat jusqu'à ce qu'il tombe à terre et perde connaissance.
    On vaccine aussi sur la place.
    Certains, très jeunes et imberbes, quand on leur enfonce violemment une grosse aiguille dans l'épaule, deviennent blêmes.
    J'en ai vu un s'évanouir.
    Un très jeune, paraissant quinze ans à peine, petit, mince et brun, toussant à faire pitié, me demande le chemin du monument des Braves Gens.
    Je lui indique la route à prendre pour aller sur Le Terme voir ce monument élevé à la mémoire des héros français de 1887.
    Maman, bien contente, nous apprend qu'on va nous rapatrier comme famille nombreuse.
    Je me vante auprès de mon amie Juliette que je vais aller faire un grand et beau voyage, etc...
    Maman, de son coté, se livre à de mystérieux travaux de couture.
    Je saurai par la suite qu'elle a caché des lettres, des billets de banque, des adresses d'officiers, des pièces d'ors et si bien qu'à la fouille nos ennemis n‘ont rien découvert.
    Le jour de notre départ, il fait un froid épouvantable.
    Nous sommes vêtus légèrement et parqués dans le magasin à fourrages de Sedan.
    On épingle un numéro sur chacun de nous.
    Nous restons debout des heures, sans remuer, sans manger ni boire.
    Nous apercevons sur la voie ferrée des prisonniers russes, décharnés, vrais squelettes ambulants à peine vêtus par ce froid terrible, qui manient pelles, pioches et travaillent sans arrêt.
    Maman nous dit : Regardez les pauvres malheureux, il en meurt chaque jour.
    Enfin, des Allemands fendent la foule et le commandant que nous connaissons s'avance.
    Il reconnaît maman et lui dit en bon français qu'elle a bien mérité de retrouver son mari vivant, qu'elle est une bonne mère, et très pieux, fait un signe de croix sur le front d'Yvette.
    Il passe.
    Nous nous embarquons enfin dans un vieux train branlant qui roule lentement et qui s'arrête pour nous permettre de manger un rata insipide dans des baraquements en rase campagne.
    Puis il repart et s'arrête à nouveau quelque part à la frontière allemande.
    On nous fait descendre pour la fouille d'un côté les vieillards qui sont déshabillés et fouillés par des hommes, d'un autre côté les femmes et les enfants que des infirmières allemandes fouillent après déshabillage et inspection des vêtements.
    Elles n'ont pas trouvé les lettres confiées à maman qu'elle a cachées dans les semelles recollées de nos souliers, dans les baleines de son corset, ni les billets et les adresses écrits sur du tissu recousu à l'envers ni les pièces d'or qui sont à la place de nos boutons.
    Tout cela a été si bien dissimulé que c'était impossible qu'on les trouve.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:22

    Nous sommes fourbus dans ce train non chauffé qui avance si lentement.
    Un vieux radote : C'est le Rhin, le commencement de la mer dit-il en voyant un fleuve.
    Nous n'avons pas de place pour dormir sur ces banquettes de bois dur et nous avons faim.
    Nous sommes obsédés par le pain doré que nous avons vu maman emballer comme un trésor ce pain cuit et donné par une personnalité ardennaise en quittant Floing.
    Nous lui demandons sans cesse qu'elle nous le partage.
    Mais elle dit qu'il est destiné à fêter notre arrivée en France.
    Enfin, le train s’arrête et des infirmières allemandes nous apportent de grandes tasses de jus de chapeau un vague café très léger et des saucisses rouges et chaudes.
    Nous changeons de train.
    Cette fois, il est très chauffé.
    Nous sommes en Suisse.
    Yvette s'assoit à nos pieds et pousse un cri horrible.
    Elle vient de se brûler l'arrière train sur la plaque surchauffée du compartiment.
    Un quadrillage rouge marque ses fesses.
    Maman tire la sonnette d'alarme.
    Le train stoppe en pleins champs.
    Un employé accourt, constate l'accident, et revient peu après avec une bouteille d'huile, des linges blancs et aide maman à panser Yvette.
    Le train repart.
    Nous voyons se dérouler de très beaux paysages de haute montagne.
    À Schaffouse, on nous fait descendre pour manger et dormir dans un grand bâtiment confortable.
    Le lendemain, nous sommes dirigés sur Genève et nous traversons le lac en bateau.
    On distribue à chaque enfant un paquet confectionné par un écolier suisse.
    J'y trouve du jambon, un pain doré, du chocolat, des bonbons, des oranges, et une carte avec l'adresse de l'enfant qui a fait le paquet.
    Ces friandises me semblent exquises.
    Au moment de quitter Genève, une infirmière de la Croix Rouge court portant un nouveau-né dans les bras.
    À qui est cet enfant ? crie telle alors que le train allait partir.
    Maman dits : C'est à cette femme, elle a déjà voulu l’abandonner à une autre gare.
    Cette mère de famille qui rejoint sans doute son mari voudrait se défaire de l'enfant qu'elle a eu d'un Allemand.
    Nous voici en France.
    Nous sommes au début de 1916.
    À la gare de Chambéry, on nous dit d'attendre qu'on vienne nous chercher.
    Un chauffeur de grande maison nous fait monter dans une limousine qui grimpe dans la montagne et s'arrête devant un château fort.
    C'est le château du marquis d'Oncieu de la Bâtie.
    C'est dans la vaste et pittoresque cuisine du château que nous prenons notre premier repas en France retrouvée.
    On nous sert un potage savoyard, mais Robert réclame la galette qu'il a vue sur le bahut.
    On nous emmène ensuite dans une petite maison blanche en plein vignoble dans le voisinage du château.
    Nous découvrons un paysage grandiose et pittoresque cerné de montagnes.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:27

    Un radieux soleil d'hiver éclaire les cimes et les pentes verdoyantes.
    Nous ne pensons plus au pays natal, ni aux allemands.
    Cette Savoie accueillante est pour nous un havre de paix après la tourmente.
    Je suis fascinée par un sommet en bec d'aigle que je surnomme le Mont Crochu.
    Un autre porte une grande croix.
    Le pays est pieux, des croix partout.
    Sur la croix si haut perchée est gravée d'un quatrain : Comme le Sphinx ailé qui renaît de ses cendres.
    Par les dons généreux de mes concitoyens.
    Vers le Ciel je m'élance pour ne plus redescendre.
    Et du haut protéger mes chers Savoisiens.
    Nous jouons au tonneau à longueur de journée dans les prés en pente et même Yvette toute petite fait le tonneau avec nous.
    Elle roule en boule et nous amuse.
    Robert préfère jouer à la guerre.
    Il a trouvé des sabres en bois et il en a rempli la cave.
    Ce sont en réalité des croix de bois pour bénir les vignes.
    Maman s'en aperçoit en allant à la cave.
    Elle les rapporte aux fermiers en s'excusant de la méprise de son fils.
    Le Marquis et la Marquises très simples, viennent nous voir et nous apportent des provisions.
    Ils ont une nombreuse famille, leurs fils aînés sont à la guerre.
    À la première visite du Marquis d'Oncieu, maman rompt le pain doré qui nous avait fait tant envie pendant le voyage.
    À l'intérieur, se trouvent deux doigts de gant dans lesquels sont roulées des lettres destinées à des officiers français.
    Le Marquis, après les avoir parcourues dit à maman que si les ennemis les avaient saisies, elle aurait pu être fusillée.
    Maman a décousu dans les vêtements les bandes d'adresses, dont elle remet certaines au Marquis.
    Il lui promet de faire parvenir les lettres à leurs destinataires et de faire tout son possible pour retrouver les traces de mon père dont elle est sans nouvelles depuis le début de la guerre.
    Maman montre à la Marquise le fessier brûlé de sa petite dernière.
    La Marquise, émue, fait venir du château un joli berceau savoyard dans lequel Yvette dormira pendant tout son séjour à La Bâtie.
    Les fermiers du voisinage vénèrent les châtelains.
    Ce qui ennuie le plus maman, c'est que nous ne sommes pas baptisés, mon père étant anticlérical. Alors que tout le monde à la Bâtie va à l'église dans la montagne ou à la chapelle du Château.
    Mais personne ne lui fait aucune remarque de ne pas nous voir à la messe les dimanches.
    En plein mois de janvier, un soleil merveilleux éclaire le paysage montagnard et nous remet en forme.
    Nous voudrions toujours rester ici.
    Mais un petit incident qui aurait pu mal tourner survient.
    Pendant l'absence de maman partie en courses, Renée veut allumer la lampe Pigeon, la pose sur la cuisinière et la remplit d'essence.
    Une explosion et des flammes nous font bondir en arrière.
    Heureusement, le châtelain du château qui passe à ce moment entre et éteint l'incendie.
    Nous l'avons échappé belle.
    Le Marquis vient dire à maman qu'il a trouvé l'adresse de mon père après bien des recherches.
    Maman est heureuse.
    Elle lui écrit aussitôt et désire le rejoindre.
    Nos beaux jours sont finis.
    Nous sommes tristes de quitter la Savoie.
    Mon père est mobilisé jusqu'à la fin de la guerre dans une usine d'aviation où il a des responsabilités.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:31

    Voici textuellement la première lettre qu'il écrit à maman :

    Ma chère Marie,
    C'est avec une émotion indéfinissable et un bonheur sans égal que j'ai reçu ton télégramme d'abord et ta lettre ensuite.
    Je ne pouvais te répondre plus tôt, car ton télégramme ne m'indiquait pas ton adresse.
    J'ignorais même si tu étais restée à Chambéry, c'est pourquoi j'attendais une lettre avec impatience.
    Par quelles cruelles alternatives tu as dû passer au milieu de ces coquins.
    Mais va, tes misères sont passées, dans quelques jours tu seras près de moi avec mes chers petits enfants que j'ai hâte de serrer dans mes bras.
    Quand j'arrivais en France, venant de Hollande où je fus prisonnier de guerre, j'envoyais un télégramme à ton cousin de Reims d'où tu m'avais écrit la dernière fois.
    Quel coup je reçus quand il m'apprit que tu étais retournée dans les Ardennes.
    Je fus alors sans nouvelles de toi jusqu'au mois de juin dernier, époque où ton frère Jules parvint à avoir mon adresse et à me parler de toi.
    Je vécus pendant ce laps de temps comme un désespéré, une âme en peine et j'eus plus d'une fois la tentation de demander à mes chefs de retourner au feu.
    La première lettre de ton frère me fit un bien considérable et me fit accepter la vie avec un certain courage.
    Maintenant, les mauvais jours sont passés.
    Bientôt nous allons être réunis et nous pourrons comme par le passé, ensemble, élever nos chers petits enfants.
    Comme ils doivent être changés.
    Déjà sur la photo que je reçus de Jules, j'eus peine à les reconnaître.
    Surtout le garnement de Robert.
    Est-il toujours le même au moral aussi coquin qu'il était.
    Et les autres la douce Renée, la rusée Andrée, le sérieux Aimé, le mélancolique Roger.
    Et la petite Yvette que j'ai à peine connue.
    Enfin, vous voilà tous, c'est le principal.
    Je te saurai gré toute ma vie d'avoir pu sauver l'existence d'une famille pareille.
    C'est admirable ce que tu as fait là.
    Tu as fait preuve d'une énergie que je ne te connaissais pas.
    Maintenant, parlons d'autre chose.
    Je fais le nécessaire pour te faire venir près de moi à Argenteuil.
    Maintenant, il faut que je trouve un appartement et que j'achète les meubles nécessaires.
    Tout cela va me demander quelques jours.
    Patiente donc un peu !
    Tu feras part de mes sentiments les feras mon interprète pour lui assurer mes plus vifs remerciements.
    Je termine ma lettre en vous serrant tous sur mon cœur.
    Ci-joint un mandat de cent francs.
    Vite une nouvelle lettre.
    Bertrand.


    Usine nôgme, quai du Petit gennevilliers : Le 15.1.1916

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:44

    La voiture du Château nous emmène à Chambéry où nous prenons le train pour Paris.
    Mon père vêtu d'un long pardessus, nous attend à l'arrivée.
    Il nous installe dans un petit pavillon qu'il a loué à Ansières et qu'il a sommairement meublé.
    Il nous dit que nous avons l'air pitoyable et que les semaines passées en Savoie n'ont pu effacer nos mois de famine.
    Il a eu toute une odyssée au début de la guerre.
    Au fort d'Anvers, le vieux commandant s'est sauvé dans une voiture à chiens et lui a demandé de commander l'artillerie à sa place.
    Forcés de se rendre, les artilleurs ont été faits prisonniers en Hollande mais une jeune Hollandaise dont mon père conserve la photo dans sa poche lui a procuré des vêtements civils pour se sauver.
    Une barque de pêche l'a mené au large des Îles Britanniques d'où on l'a rapatrié en France.
    Nous allons à l'école Flachat de Bécon les-Bruyères.
    C'est loin et au début nous déjeunons à la cantine, mais la panade qu'on nous sert pour trois sous nous dégoûte et nous préférons rentrer manger à la maison et marcher beaucoup.
    Le second mois, je suis première de ma classe, place que je garderai jusqu'à la fin de mon séjour à l'école.
    Mme Ledru dont le mari est au front à cinquante élèves dans sa classe et les autres classes sont aussi chargées.
    Nous montons l'escalier aux accents d'un chant patriotique.
    Chaque classe doit chanter à tour de rôle un hymne ou un chant martial :
    La Marseillaise, la Brabançonne, Le chant du Départ, Le God Save the King, La bannière Étoilée, La Chant des Girondins, La Lorraine, Dieu garde notre Tsar, l'Hymne Serbe, le Chant de Garibaldi, La Française, Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie, d'autres encore, sont entonnés tour à tour.
    Nous apprenons par dizaines des récitations comme : Fleurs de France, En Avant, de Déroulède.
    On nous demande de ramasser les vieux papiers et les chiffons, d'en faire des paquets distincts et de les jeter dans de grandes poubelles à l'école pour servir à fabriquer des tissus.
    Quand il fait beau, toute la classe va cultiver un champ à côté pour les soldats.
    Je me plais assez à l'école.
    Les maîtresses sont gentilles bien qu'elles sourient rarement, étant mères ou femmes de combattants.
    Chez nous, la vie est souvent pénible.
    Maman ne peut toucher l'allocation des réfugiés, mon père, trop fier, refusant de lui donner sa signature.
    Elle n'ose lui demander de l'argent.
    Il vit en garçon, rentre tard, va souvent au théâtre, au concert et c'est la disette à la maison.
    Il se fiche quand maman accepte des cadeaux des voisins.
    Il aperçoit un tas de parapluies et d'ombrelles qu'on vient de nous donner.
    Il creuse une tranchée dans le jardin et y enterre les parasols sous les yeux des voisins.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:49

    Pourtant quand la récolte des haricots verts est abondante, il en cueille une quantité, lui qui ne fait rien à la maison, et il nous envoie les porter aux gens du voisinage.
    Des soldats belges qu'il a connus au front viennent en permission chez nous, gentils d'ailleurs, Oscar de Guets et Gommers qui nous apporte toujours de la Bénédictine de Fécamp où il campe.
    Nous allons voir à La Garenne, dans les champs, la famille Boudin réfugiée de Floing.
    Avant la guerre, le père de Mme Boudin, le père Goffinet, construisait un avion dans son grenier et passait pour fou.
    Albert Boudin est à la guerre et on apprend qu'il a été tué et qu'en mourant il a appelé sa mère.
    Elle en mourra peu après.
    Les Ardennais se réunissent le dimanche place Bondy à Paris.
    Mes parents y rencontrent les gens de Floing.
    Ils apprennent ainsi les noms de ceux qui ont été tués ou gravement blessés.
    Georges Vivien, le cousin de maman a été tué au début de la guerre.
    Notre oncle Léon Goëtz, vient en permission couvert de boue et de poux.
    Pour éviter la contagion, mes parents lui louent une chambre à l'hôtel.
    Peu de temps après, il meurt d'une maladie contractée au front, à l'hôpital de St Dizier.
    Il s'est éteint comme une lampe faute d'huile dit maman, qui est allée le voir.
    Sa veuve et ses fils sont en pays envahi.
    Il avait une voix superbe quand il chantait.
    L'hiver de 1916/17 est terrible.
    Il gèle à pierre fendre.
    L'eau est gelée dans les canalisations.
    Je vois maman qui essaie de dégeler la tuyauterie du jardin avec de l'eau bouillante.
    Je n'ai pas de manteau, je vais à l'école avec un chandail de soldat réajusté puis en tablier noir, ne voulant plus porter un chandail de soldat.
    À la Directrice qui tâte mes mains glacées, je réponds que je n'ai pas froid.
    Mon père est souvent en colère et nous frappe injustement avec sa ceinture.
    Nous demandons à maman d'écrire au Marquis d'Oncieu pour retourner en Savoie on nous étions heureux.
    Quelques semaines plus tard, elle apprend que le marquis est mort de la grippe et que notre petite maison dans la montagne est occupée par des réfugiés.
    Elle écrit de temps en temps en Savoie.
    Le père de mon amie Suzanne Duranton revient de la guerre avec une jambe coupée.
    Puis c'est le père Valentin, son oncle qui revient lui aussi avec une jambe en moins.
    Les deux beaux-frères achètent une paire de chaussures pour eux deux.
    Le père Valentin, rigolard, chante à longueur de journées Quand on est zouave, Faut être brave, Hardi les gars, Ne vous désolez pas.
    Notre petit pavillon est très humide.
    Maman tomba bien malade.
    Elle a du rhumatisme articulaire aigu et ne peut se lever.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 14:57

    Un vieux médecin d'Ansières, le père Charvet, vient la voir chaque jour.
    Il met un temps infini à tourner la manivelle de sa petite voiture qui ne veut jamais démarrer.
    Une voisine, veuve d'un Anglais, Mme Voye, vient faire des piqûres à maman.
    Elle habite à côté une jolie villa.
    Ses filles nous donnent de beaux jouets.
    Renée reçoit un service de poupée en porcelaine blanche et rose et moi un service en faïence bleue comprenant plus de 60 pièces avec tasses à thé et à café.
    Ces cadeaux nous font un très grand plaisir.
    Maman descend parfois péniblement l'étage, marche à marche, assise et tenant ses jambes dans un foulard.
    Une Bretonne, la mère Cadoret, vient faire le ménage mais elle est si malpropre que nous ne voulons pas manger les plats qu'elle prépare.
    La mère Moulis, une voisine, lui succède.
    C'est la misère chez eux, son mari, un adjudant, est au front.
    Le buffet est vide dans la belle villa qu'elle occupe avec ses enfants.
    Les filles n'ont qu'une jupe à mettre, sans cesse brossée.
    Par fiertés elles ne travaillent pas.
    La mère Moulis accumule les heures de ménage.
    De son lit, maman me demande un jeudi de nettoyer la maison et de dire à la mère Moulis quand elle viendra que tout est fait.
    Je m'exécute mais quand mon père rentre le manger n'est pas cuit et je reçois une terrible correction.
    Renée à douze ans, trois ans de plus que moi, elle joue toujours dehors et refuse devenir m'aider quand je l'appelle pour fermer le lit cage des garçons trop lourd à soulever.
    Les garçons, eux, ne font jamais rien.
    Si bien que maman toujours malade doit souvent se lever.
    La mère Laurent, la concierge d'en-face, une énorme créature qui n'est pas aimée du voisinage, m'attire chez elle.
    Elle vit seule, elle a perdu son mari et ses enfants.
    Les locataires de son immeuble vont aux W.C avec leur rond de cabinet sous le bras de peur d'attraper la tuberculose.
    Elle me donne des tartines, me peigne, fait ma toilette, me dorlote.
    Je ne la trouve pas si méchante qu'on le dit.
    Ses locataires ont inventé une chanson sur elle :

    Aux effets du large,
    Voilà la Pipelette,
    Elle est forte et brave,
    Avec son balai,
    Ses savates aux pieds,
    Son lorgnon su le nez,
    Elle croit rassembler
    tous les hommes du quartier,
    Quand la Pipelette du 8 fichera son camp
    On s’ra tous bien contents !

    Elle a fichu son camp un an plus tard, minée par la tuberculose malgré sa corpulence.
    On avertit trop tard maman du danger que je cours.
    Je tombe malade et un jeune médecin permissionnaire déclare que j'ai une pleurésie.
    Il m'ordonne des cataplasmes de farine de lin, de moutarde et des tisanes de queues de cerises.
    Je me remets pourtant.
    Quelque temps après, je retombe malade, j'ai des évanouissements, des hémorragies douloureuses en urinant.
    Le pharmacien dit à maman que c'est la puberté.
    Je suis si faible sur mes jambes.
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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:02

    Maman me donne le bras pour aller à l'école.
    Je suis prise d'une terrible crise de tremblements en pleine nuit qui m'oblige à me réfugier dans le lit de mes parents.
    Après ces maladies, je ne grandis plus.
    J'ai peur la nuit de la sirène qui force les gens à quitter leur lit et à se réfugier dans les caves.
    Celle du quarante huit est la plus solide, c'est là que se précipitent tous les gens du quartier et ça bombarde dur parfois.
    Dans la cave un jeune poitrinaire s'évanouit.
    Notre voisin, M Aurivel, professeur à Chaptal, nous fait la classe durant les alertes.
    Son grand fils Charles prépare le bachot.
    Il tombe malade et doit s'aliter avec ses bouquins qui ne le quittent plus.
    Un soir, on entend frapper à nos volets.
    C'est Mme Aurivel qui crie, éperdues - Venez vite, Mme Bertrand, mon fils se meurt.
    Maman revient une heure plus tard quand elle est entrée dans la chambre de Charles, il avait la bouche et les yeux grands ouverts, il avait cessé de vivre avec ses livres d'étude sur le lit.
    M Aurivel reste froid mais Mme Aurivel a un chagrin que seule l'amitié de maman qui ne la quittera guère atténuera avec le temps.
    Maman vient de subir un grave découragement.
    Mal remise de sa longue maladie, ayant à subir la grande nervosité de mon père, manquant de ressources, elle perd parfois la mémoire, ne se souvient plus étant dehors ce qu'elle est venue faire ni où elle habite.
    Sa grande sensibilité a eu à subir trop de choses depuis longtemps.
    J'essaie en vain de la retenir quand elle tente par deux fois de se suicider au cours d'une colère de mon père.
    Elle arrive à se remettre grâce aussi à l'amitié de Mme Aurivel et elle ne comprend pas comment elle a pu désespérer à ce point.
    Elle redevient gaie et même coquette, ce qu'elle n'était plus depuis longtemps.
    Elle coud des dentelles à ses jupons, à ses tabliers et dit à ses amies qu'il faut rire de ses malheurs.
    Mon père est maintenant directeur dans une usine rue de la Fontaine au Roi à Paris.
    Il résout seul des problèmes de maths que notre voisin professeur à Chaptal ne peut faire.
    Quand je vais avec Aimé me promener à l'Île de la Jatte, je suis frappée de voir la Seine qui charrie des quantités de cadavres de chiens et de chats.
    Parce que les hommes se tuent, on noie les animaux domestiques.
    Pendant les grandes vacances, avec Aimé et Norbert Moulis, nous allons travailler à La Bobibofa.
    C'est une fabrique de laines qui emploie des enfants au rabais pendant l'été.
    Mon travail consiste pendant dix heures par jour à passer la laine sur un morceau de paraffine de la main gauche tandis que la droite tourne un dévidoir.
    Nous gagnons quelques sous par jour qui nous permettront à la rentrée des classes de nous acheter un cartable neuf, un plumier et des crayons de couleur.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:09

    Parfois la tentation nous prend d'aller à la biscuiterie d'Ansières chercher pour un sou un cornet de miettes de biscuits et de débris de gaufrettes dont nous nous régalons.
    Le dimanche, nous allons promener à pied aux moulins de Sannois, d'Orgemont ou à Argenteuil dans les champs d'asperges.
    Quand nous avons trop soif, nous entrons dans un café où on nous sort gratis de l'eau rougie.
    Nous n'avons jamais d'argent sur nous.
    À l'école, nous faisons des exercices pour nous rendre sans panique dans les caves en cas de bombardements quand une explosion épouvantable, d'une violence inouïe nous jette les unes sur les autres.
    Prises de panique, nous descendons l'escalier comme des folles, la maîtresse comme nous.
    Je vais chercher Yvette à la maternelle.
    Elle a si peur qu'elle ne veut avancer ni reculer.
    Je la tire, mais rien à faire.
    Elle a fait pipi dans sa culotte.
    Enfin, elle se calme et j'apprends en rentrant chez nous que la poudrerie de la Courneuve vient de sauter, qu'il y a des dégâts à des kilomètres à la ronde, que c'est sans doute l'œuvre d'un espion.
    Le lendemain, maman va voir avec Mme Aurivel les lieux de la catastrophe.
    À la porte de notre jardin, un homme jeune est pris de violents tremblements.
    Il dit n'avoir pas mangé depuis trois jours.
    On lui apporte une chaise et de quoi se restaurer.
    Ces choses sont assez fréquentes.
    Une de nos voisines, Mme Lucina, une négresse s'est éprise d'Yvette ainsi que Mlle Folvary qui voudrait l'adopter.
    Cette dernière a un joli pavillon et un piano.
    Un jour, Renée m'entraîne à faire l'école buissonnière, il fait beau temps, nous allons nous promener dans les petites rues pour regarder les belles villas avec les jardins fleuris.
    Nous cherchons à fixer notre choix sur la villa que nous aurons plus tard quand nous nous trouvons nez à nez avec Mme Aurivel.
    Nous lui demandons de ne rien dire à maman, sa grande amie.
    Jamais elle ne lui en parlera.
    Parfois, nous allons au cinéma le dimanche en hiver.
    La salle est archicomble et nous restons toujours debout.
    On joue Le Masque aux dents blanches, Les Mystères de New york, La Main qui étreint, tous les épisodes, ce qui nous oblige à revenir.
    Des soldats en permission jouent les fantaisistes à l'entracte toujours pour ridiculiser les boches ou les rendre odieux.
    Ils ont beaucoup de succès.
    Paris s'amuse et s'étourdit.
    Jamais on n'a tant dansé, les permissionnaires comme les civils.
    Les gens veulent oublier le cauchemar de la guerre.
    L'Armée allemande se rapproche de la capitale.
    Les raids et les bombardements sont de plus en plus fréquents.
    On entend tonner la grosse Bertha.
    Mon père, pris d'une bonne intention, décide de nous éloigner de Paris.
    Maman va à Vaucresson et y loue la villa Roger.
    Nous arrivons un matin de printemps.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:21

    Les jardins sont en fleurs.
    Notre villa nous semble une oasis.
    Des primevères et des pensées dans le gazon, des arbres fruitiers fleuris, des allées pour courir, le tout niché dans la verdure, le rêve enfin !
    Là, nous oublions les mauvais jours pendant que la guerre fait rage.
    Nos amis d'Ansières viennent nous voir souvent ou bien ce sont des Ardennais que maman invite.
    Nous allons avec eux promener à l'étang de St Cucufa et dans les bois de la Butardiére et nous buvons parfois du lait dans une ferme sur les bords de l'étang.
    Un jour, en compagnie de Renée je vais voir la mère Pousseur, réfugiée de Floing, qui habite dans les bois.
    Elle nous dit qu'on a découvert près de l'étang une femme assassinée.
    C'est la deuxième en peu de temps.
    En sortant de chez elle, un homme nous suit, une lanterne sourde à la main.
    Prises de peur, nous courons, il court derrière nous.
    Nous fuyons à toutes jambes.
    Nous dévalons l'escalier en pierre qui rejoint la rue en pente où nous habitons.
    Il est toujours à nos trousses.
    Par bonheur, la porte de l'allée qui mène à notre jardin est grande ouverte, nous nous engouffrons chez nous sans nous retourner.
    Le lendemain, nous apprenons un nouveau crime de sadique.
    Les femmes n'osent plus sortir seules.
    La police ne parvient pas à s'emparer du monstre.
    À la gare où nous allons chercher les journaux, nous voyons un homme aux yeux verts qui nous regarde fixement et nous pensons que c'est lui.
    Il commettra six crimes tout près de St Cucufa, il ne sera pas pincé.
    On en parle peu dans les journaux.
    C'est Landru qui défraie la chronique.
    Parce que les nouvelles sont mauvaises, on tient les gens en haleine avec l'affaire Landru.
    Les guinguettes et les bals champêtres de Vaucresson sont pleins de permissionnaires en bleu horizon qui dansent le tango et le charleston.
    Tout est changé depuis le début de la guerre.
    Les pantalons rouges, les épaulettes, les dolmans bleus, les képis ont été remplacés par une tenue moins voyante, et au tissu gris fer des Allemands, on a opposé le bleu horizon français, souvent, hélas ! terreux et délavé pour le malheureux qui vient des tranchées, mais pimpant et gai pour l'embusqué.
    Un soldat ardennais, de retour des Dardanelles, vient en permission chez nous.
    Maman essaie de le marier avec Madeleine Moulin qu'elle invite à Vaucresson.
    Renée se moque de ce soldat qui, en pleine crise paludéenne chez nous, est tout jeune.
    Dans cet état, il ne plaira pas à Madeleine.
    Nous élevons deux canards dans une mare que nous avons creusée et remplie d'eau.
    Nous avons aussi des lapins mais le chat a vite fait de bondir sur l'un d'eux et de l'emporter pour le dévorer à l'aise dans une propriété voisine.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:27

    Quand le chat meurt, Roger joue à l'enterrement, fait une messe, creuse une tombe qu'il décore d'une croix.
    Mais le chat ressuscite et sort de terre à notre grand étonnement.
    Nous collectionnons les cartes postales, ma soeur et moi.
    Renée prétend qu'il lui en manque que c'est moi qui lui ai pris.
    Elle déchire ma collection et me frappe de toutes ses forces à coups de tisonnier.
    Elle est plus forte que moi.
    Je me réfugie chez une voisine, Mme Jacquot, en proie à une crise de tremblements.
    Elle me donne une boisson calmante, et quand maman rentre du marché de Versailles, elle insiste auprès d'elle pour qu'elle surveille ma grande soeur en proie à de brusques et injustes colères.
    Car Renée est parfois bizarre.
    Elle regarde sous les lits, croyant qu'un homme s'y cache et me communique sa peur.
    Elle admire les aristocrates, telle Mme de Dammas qui se promène avec une canne et un chapeau tyrolien.
    Aimé passe son certificat d'études.
    À l'heure de son retour, maman nous installe dans l'allée à la queue leu leu avec des fleurs et des bonbons à la main pour l'accueillir.
    Mon père est parfois à la maison le dimanche.
    Il aperçoit de la poussière sur nos ménages de poupée rangés sur un rayon.
    En colère, il jette notre belle petite vaisselle dans la cave où elle se brise.
    Il commence à perdre ses cheveux.
    Il a acheté une lotion pour la repousse et demande à maman de lui frictionner le cuir chevelu chaque jour.
    Devenue maligne, maman se sert de la lotion pour elle et lui met de l'eau teintée à la place.
    Tant pis pour les jeunes filles qu'il fréquente.
    Maman nous emmène en promenade à St Cloud.
    Près du Parc, elle achète une livre de gras de jambon pour notre pique-nique que nous trouvons savoureux, c'est tout de même mieux que Norbert Moulis qui n'a que de la moutarde à mettre sur son pain.
    Il y a de bien belles villas à Vaucresson avec des paons qui font la roue dans les jardins, des résidences de riches que nous ne cessons d'admirer.
    J'aperçois M Testut, le maire, qui essaie de raisonner une vieille devenue subitement folle dans la rue.
    Elle ne sait plus où elle habite et ses fils sont à la guerre.
    Les événements se précipitent.
    On dit que les Allemands sont battus grâce aux secours des Américains et du courage héroïque de nos poilus.
    Nous allons chaque soir à la gare attendre les nouvelles tout en craignant le sadique qui se cache.
    Les bombardements ayant cessé, maman décide de retourner à Ansières.
    Elle fait tuer nos canards et nous les sert rôtie à point.
    Mais aucun de nous n'en veut manger, nous les connaissons trop et nous ne les trouvons pas bons.
    Une coïncidence veut que le jour de notre départ de Vaucresson soit le Jour de l'Armistice.
    L'effervescence est telle qu'à la gare nous passons sans payer et sans tickets, les employés ne réclament rien, tout le monde est en liesse à Paris,

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:34

    c'est le délire, à Ansières les rues sont pleines de monde qui crie sa joie, qui chante, qui danse,
    Dans la rue, des artistes de l'Opéra chantent.
    Madeleine Roch, devant la mairie d'Asnières, enroulée dans un drapeau, chante "La Marseillaise" d'une voix vibrante.
    Les soldats sont embrassés et entraînés dans des rondes.
    Les ivrognes tombent un peu partout.
    Avec Renée, je me trouve entraînée par des soldats.
    Ils chantent Nous n'irons plus aux bois, les lauriers sont coupés, la belle que voilà, en désignant Renée ira les ramasser.
    Renée se dégage en criants Sales Poilus !
    Car elle n'aime que les officiers, ils ne se fâchent pas et continuent leur danse.
    Dans l'enthousiasme, personne ne pense aux famille en deuil et elles sont très nombreuses.
    A Anniéres, nous habitons un autre pavillon rue Amélie.
    Maman est occupée par notre déménagement.
    Moi, je prends dans mes bras Colette Urth qui a dix huit mois et je m'en vais place de la mairie où la joie délirante est à son comble.
    Je ne reverrai plus jamais journée pareille.
    Nous retournons à l'école Flachat à Bécon-les-Bruyères.
    Le trajet est long mais nous ne voulons pas aller à l'école du Centre plus prés, mais de réputation sévère.
    Nous avons gardé un très bon souvenir de nos maîtresses de Flachat.
    Les Urth et les Sauvage des Sedanais, habitent au bout de notre rue.
    Nous les fréquentons.
    Un de leurs voisins, un garçon de quinze ans, vient de s'étrangler.
    Il a découvert, parait-il que sa mère avait un amant pendant que son père était à la guerre.
    Qui sait la vérité ?
    Les Américains distribuent du chewing-gum aux enfants.
    Cette friandise inconnue en France est recherchée des gamins.
    Les Sammies ont aussi prés des jeunes filles le charme des sauveteurs, leur uniforme est impeccable et ils sont gais, généreux, ils distribuent cigarettes et bonbons.
    La fille André qui a seize ans et qui habite en face me demande de l'accompagner dans une rue voisine où elle a rendez-vous avec un Américain.
    Elle ne peut sortir seule, mais avec moi sa mère la laisse partir.
    Nous parlons depuis un moment en petit nègre avec le yankee, assis sur un mur tapissé de lierre, quand je vois maman surgir avec un balai.
    Quelqu'un a dû nous voir et la renseigner !
    Je rentre à la maison, déconfite.
    Adieu les chewing-gum !
    Je n'ai plus le droit de parler à la fille André !
    Je n'ai que onze ans et je n'ai pas le droit de me mêler aux amoureux, même platoniques.
    Un gars de dix huit ans réfugié du Nord me donne rendez-vous au bout de la rue.
    Je le dis à maman.
    Elle y va à ma place avec un balai.
    Il s'excuse en lui disant qu'il pensait que j'étais bien plus âgée vu mon air sérieux et mon genre boulotte.
    On m'appelle depuis toujours la grosse à la maison, sauf ma mère qui m'appelle par mon prénom.
    La grippe espagnole fait des ravages.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:40

    Il n'y a pas de jour sans que maman apprenne la mort de personnes de sa connaissance.
    On dit que c'est le reste des gaz asphyxiants que les chimistes allemands ont lancé sur les champs de bataille ainsi que des bombes bactériologiques que les vaincus désespérés auraient déversées sur la France.
    On dit aussi que c'est une sorte de choléra venant des charniers des régions envahies.
    Un matin, je ne peux ni m'éveiller ni me lever.
    J'entends Aimé dire : La grosse paresseuse, elle ne veut pas aller à l'école".
    Il me tire du lit et je tombe sur le tapis.
    Il me donne des coups de pied en répétant Lèves-toi, paresseuse !
    Dans mon profond évanouissement, j'entends la voix et je sens les coups.
    Huit jours plus tard, je m'éveille dans un grand lit, et je vois autour de moi mes frères et soeurs allongés et endormie.
    Tu as eu la grippe espagnole, me dit maman, tu es la première guérie, les autres sont tombés malades après toi.
    Elle n'a pu avoir un médecin, il y a trop de malades et les médecins sont plus que débordés.
    C'est le pharmacien qui a donné un traitement des pastilles pour vomir et des pastilles laxatives.
    Maman écrit au père retourné à Sedan pour rétablir sa situation de revenir, que nous sommes très malades, mais il n'est pas revenu.
    Elle seule n'est pas malade et je saurai plus tard qu'elle a passé un des plus mauvais moments de sa vie.
    Elle voyait des enterrements partout quand elle allait en vain chercher un médecin pour nous en courant.
    Mes frères et soeurs délirent.
    Renée saigne du nez.
    Roger voit ses poumons sur le lit.
    Robert est exaspéré et tue des Prussiens.
    Je n'ai ni faim ni soif et je trouve un goût de terre à tout ce que j'essaie de manger.
    Maman m'achète du jambon, denrée chère à l'époque, je lui trouve un mauvais goût.
    Je retourne à l'école après un bon mois d'absence.
    Avec Renée, nous passons souvent devant un garage "l'Omnium” où se tient un homme, brun qui nous regarde et nous semble drôle.
    Le soir, avant de nous coucher, nous regardons derrière les portes et sous le lit pour voir si "l'Omnium" n'y est pas caché.
    La maîtresse nous dit : Il se passe des très choses graves à Bécon-les-Bruyéres.
    Un homme se cache et assaille les fillettes seules.
    Arrangez-vous pour rentrer en groupe.
    Pour rattraper le temps perdu pendant ma maladie, je reste à l'étude après quatre heures et je rentre seule à la maison.
    Devant la passerelle du chemin de fer un homme hagard sort d'une vespasienne, la verge dressée hors de sa braguette.
    Effrayée, je m'enfuis sur l'escalier de la passerelle.
    Il me poursuit.
    La peur me donne des ailes, je bondis et j'arrive, essoufflée, devant un chauffeur qui tourne sa manivelle Armé de son outil, course l'individu qui disparaît.
    Je rentre à la maison, le coeur battant.
    Je l'ai échappé belle.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:47

    Beaucoup plus tard, revenue à Sedan, j'apprends par le journal que le satyre de Bécon, insaisissable, a été tué à coups de carabine par un vieux indigné alors qu'il poursuivait une enfant.
    Il en avait violé une douzaine.
    Il est mort dans une rue voisine et on apprendra qu'il était secrétaire de police, marié et père de trois enfants.
    Après cela, je fais de grands détours pour ne pas rentrer seule et je cesse d'aller à l'étude. Renée a beaucoup de goût pour le dessin et la peinture.
    La Directrice de l'école, Mme Bredault, lui a demandé de décorer au pochoir le préau de l'école et l'escalier.
    Elle fait une frise de glycines.
    Elle n'aime que coudre et dessiner.
    Elle ne sera pas reçue au certificat d'études.
    Notre tante Mélie Goëtz, la soeur de mon père, vient chez nous.
    C'est une grande femme osseuse, aux yeux bleu clair, aux cheveux frisés et grisonnants.
    Elle a les traits de mon père.
    Elle est veuve de guerre.
    Sa mère, ma grand-mère Bertrand que nous n'aimions pas, est morte dans la cave pendant les bombardements terribles de la fin de la guerre dans le Nord.
    Elle avait perdu l'esprit et faisait des monceaux de charpie pour les blessés avec le linge de sa fille.
    Peut-être se souvenait-elle de 1870 et de Bazeilles où elle habitait et qui fut le théâtre de sanglantes tragédies.
    Nos cousins Marcel et Jules Goëtz viennent aussi nous voir.
    Ils sont restés dans le Nord pendant la guerre.
    Renée part avec la tante pour l'aider dans son commerce, ses fils devant partir faire leur service militaire.
    Dans cette région, de durs combats se sont déroulés et de nombreux morts sont enterrés à ras de terre.
    Des équipes d'africains ont été envoyées pour déterrer ces morts en vue d'une réinhumation convenable dans des cimetières.
    Ces africains viennent à l'épicerie de ma tante acheter leurs provisions, leurs mains sentent mauvais et Renée a peur de toucher leur argent pris sur les cadavres.
    Elle aime se réfugier chez les Capelle, des gens sans enfants, la tante Goëtz allant souvent pleurer son mari à l'église.
    Renée fuit cette tristesse et revient à la maison.
    Partie païenne, elle revient pieuse pour toute sa vie.
    Le jour où je passe mon certificat d'études, il fait très chaud.
    Je prends une petite boite de talc pour mes mains qui transpirent énormément même en hiver et qui m'interdit tout travail d'aiguille.
    À l'examen de couture, la sueur ruisselle sur mes mains et le talc copieusement répandu forme une pâte.
    Je ne peux faire un point, mon fil et mon aiguille humides ne peuvent entrer dans le tissu. J'aurai, certainement zéro en couture.
    Je bafouille à toutes les questions orales et à la récitation, par timidité.
    Le matin, l'écrit a très bien marché.
    J'ai fait une magnifique carte d'Alsace-Lorraine, de mémoire, un superbe dessin de feuilles à nervures, une dictée sans faute, une assez bonne rédaction et deux problèmes d'intérêts (que je n'avais jamais appris).
    J'étais assez contente de moi mais en rentrant à la maison

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 15:53

    Pour déjeuner, personne.
    La clé est sous le paillasson, la famille est en promenade.
    J'ai trouvé un œuf au fond du placard et un bout de pain.
    J'ai déjeuné seule, bien déçue.
    J'apprends le lendemain à l'école que je suis reçue première.
    Je suis aussi surprise que la maîtresse qui ne prévoyait pas ce résultat, ayant manqué longtemps l'école du fait de ma grippe espagnole.
    J'ai dû, avoir une note maximum à l'écrit.
    Nous quittons Asniéres, très contents de retourner dans les Ardennes.
    Dans le train, nous écrivons le nom de chaque station.
    C'est un vieux train omnibus qui s'arrête souvent.
    Nous ne retournons pas à Floing.
    Nous habitons à Sedan où mon père à des ateliers et des ouvriers.
    La ville a bien souffert de la guerre.
    Nous logeons d'abord à La Cassine à l'hôtel, puis chez une mercière, la mère Parent, originaire d'Illy où mon père à été élevé.
    Son mari, un petit bossu, travaille chez mon père.
    Au bout d'un certain temps, nous trouvons un grand appartement dans la rue principale au-dessus d'un grand magasin de jouets.
    Il est tout meublé avec des meubles d'époque.
    Il a appartenu à un drapier dont la fille, seule héritière est mariée à Bruxelles.
    Dans le plafond de la cuisine est fiché un gros piton où maman accroche son jambon des Ardennes.
    Il a servi, nous dit une voisine, à la pendaison d'un Allemand qui ne voulait pas retourner au front.
    Dans la famille mon père est le seul rescapé à part mon oncle Jules revenu d'Allemagne où il était prisonnier.
    Mon père a voulu le faire divorcer, sa femme ayant eu un enfant d'un voisin, d'ailleurs décédé.
    Mais il n'a rien voulu savoir, il a pardonné et adopté l'enfant.
    Avec ses quatre filles, cela lui en fait cinq.
    Mon père le déconsidère et ne veut plus le voir.
    Les deux beaux-frères de maman, gazés, survivront peu.
    Son cousin Georges Vivien a été tué.
    Son cousin Guillaume, gazé lui aussi et veuf de guerre sa femme ayant été tuée par un obus, est promu gardien du musée et de l'ossuaire de Bazeilles.
    Mais lui aussi va mourir, et c'est sa sœur qui tient le musée et élève les trois orphelins.
    Les enfants de Julia, la sœur de maman, orphelins de père et de mère, sont à l'orphelinat.
    Sa demi-sœur, Lucie, veuve de guerre, est remariée à un aveugle de guerre.
    Il y a des deuils dans toutes les familles et tant de malades, surtout chez les gens restés en pays envahi, que la mission Rockfeller installe en ville un dispensaire gratuit.
    Le pays qui a beaucoup souffert a besoin de grandes réjouissances pour oublier.
    Le premier Mardi Gras d'après guerre a été unique.
    Plus de la moitié des Sedanais sont déguisée, enfants et grandes personnes.
    Une bande de goulus fait irruption chez nous.
    On ne peut les identifier, ils ont changé leur voix, ils nous amusent un moment et repartent pour aller surprendre d'autres personnes.

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 16:00

    Je vais faire une course avec Renée.
    En rentrant, nous sommes coursées et rattrapées par une bande de goulus qui nous poursuit.
    Je m'élance dans l'escalier mais, me retournant, je vois Renée couchée à terre recevant une fessée d'un goulu.
    Jamais elle n'en parle mais elle fait chaque fois un signe de croix en passant à cet endroit.
    Je pense que c'est un garçon qu'elle a dédaigné qui est l'auteur de cette magistrale fessée.
    Nous avons costumé Robert en arabe avec un turban de soie et une gandoura qui est le tapis vert orné de velours de la salle à manger.
    On dirait un sultan, il est très fier et va se promener en ville.
    Mais à ces fêtes et distractions, il y a des empêcheurs de danser en rond.
    Un vieux garçon professeur au collège et un professeur d'Anglais, le père Cornilleau, ont créé La ligue de Relèvement de la Moralité Publique.
    Ils donnent des conférences et la nuit tombée, armée d'un parapluie aiguille, ils déchirent les affiches de théâtre, de concerts et même de cinéma quand le programme leur déplaît.
    Le public commence a se plaindre, mais ils n'en continuent pas moins leur mission purificatrice des mœurs d'après guerre.
    Les opérettes surtout ont le don de les mettre en fureur.
    Ils passent les nuits à déchirer les affiches dans le département.
    Dès mon entrée au collège, j'ai comme professeur d'anglais le père Cornilleau.
    À peine ai-je pris deux ou trois leçons d'anglais qu'il me dit : Bertrand, baissez la tête, vous n'avez pas hontes.
    Ne comprenant pas, je me mets à pleurer.
    Il me dit que je reste en retenue.
    Rentrée à la maison et m'ayant plainte à maman, elle va voir le lendemain la directrice avec moi.
    Celle-ci, une vieille fille, lui dit que le père Cornilleau m'a vue la nuit avec un garçon.
    Maman s'écrie que je ne sors jamais après quatre heures, que mon père est si sévère qu'il ne le tolérerait pas, etc...
    La Directrice dit qu'il faut excuser M Cornilleau, paralysé de guerre de la main droite qui doit écrire de la main gauche, qui est aigri et qui ne voit pas bien clair, qu'il m'aura sans-doute prise pour une autre.
    Je ne veux plus retourner au cours d'Anglais et je me déplais au collège où j'ai l'impression de perdre mon temps.
    Au cours de dessin, je dis à la petite Dutilleux, ma voisine : Mon père est allé chasser avec le vôtre.
    Elle me répond : Bertrand votre père est un ouvrier, Monsieur Bertrand qui vient chez nous n'est pas ton père.
    D'abord, il n'a pas d'enfants, (rien d'étonnant mon père ne parlait jamais de ses enfants à ses amis)...

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    Message par bertrand robert fils Mar 9 Déc 2008 - 16:06

    Ainsi, parce que je ne suis pas bien vêtue on me dédaigne.
    On fait une ronde autour de moi le jour où j'arbore des chaussures neuves.
    Aimé a découvert dans les souterrains du château de Turenne, de vieux fusils allemands datant de 70, des baïonnettes, de la poudre de la dernière guerre, des balles, enfin tout un arsenal qu'il cache dans un profond placard de sa chambre, dans le grenier derrière de vieux meubles et dans l'alcôve de notre chambre avec défense d'en parler à maman.
    Quand celle-ci va en courses, il fait sauter des macaronis de poudre sur la cuisinière en nous criants : Arrière ! La détonation nous surprend toujours et nous bondissons de peur.
    Puis au grenier il tire sur de vieux matelas derrière lesquels nous sommes cachés, c'est un miracle que l'un de nous n'est pas tué.
    Quand maman rentre, tout se tait.
    Un jour la police avise maman que des détonations suivies de nuages de fumée sortent des fenêtres du grenier.
    Maman répond qu'il y a erreur, qu'elle a des enfants bien tranquilles, etc...
    Jamais elle ne le saura.
    Le père vient d'acheter l'ancien cimetière de Torcy pour y construire une fabrique de machines à pointes.
    Ses ouvriers se servent des pierres tombales pour faire les fondations et exhument des squelettes. L'un d'entre eux se trouve mal et mon père dit à la maison que c'est une punition de famille, la mère de cet ouvrier ayant, étant fille enterrée son premier né.
    Quand nous rencontrons mon père en ville, nous le craignons tant que nous n'osons ni le regarder ni lui parler.
    Il passe, fier, sans s'arrêter.
    Par une chaleur torride, une commémoration des morts de la Grande Guerre à lieu à Noyers.
    Derrière la foule, je fais des kilomètres à pied et j'arrive sur le plateau où s'alignent des milliers de croix de bois.
    Soudain la musique s'arrête, un des musiciens vient de tomber à terre, on l'entoure, sa face est violacée, et il meurt en quelques minutes.
    Habituée à entendre parler de la mort, je continue à me promener parmi les tombes des poilus.
    Sur une haute tribune, le pasteur de Sedan, l'archiprêtre et le rabbin ont pris place, unis pour la première fois, ils parlent tour à tour de fraternité, d'humanité et de Paix, de Dieu et de vie éternelle.
    Après avoir parcouru la nécropole militaire, mon ombrelle à la main me servant de canne, je rentre à la maison, les pieds meurtris, pleins d'ampoules.
    Chaque jour on déterre, on ramène des corps de soldats dans leurs pays quand les familles les réclament.
    Chaque jour aussi, des cultivateurs en fouillant le sol où des enfants en jouant sont tués par des engins de guerre.
    Les gazés, les grands blessés meurent.
    À la distribution des prix, je suis assise eu face de Mme Delcourt, maîtresse de la classe enfantine qui a perdu son fils à la guerre.
    Pendant tout le temps que dure la fête des enfants, je vois des larmes couler sur son visage.
    Elle pleure inlassablement sans une plainte ni un sanglot.

    La guerre est finie.

    Andrée Bertrand (Sedan 1918)

    Fin...


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