L'équipage du LST Golo, de pauvres marins sans pinard
Une histoire vraie que j'ai déjà racontée dans le post des LST et qu'il me plait de resservir ici.
Ah oui ! on peut dire que sur un certain point l’équipage du Golo aura «souffert» en Amérique. Heureusement cela ne dura pas trop longtemps ; comme je l’ai dit nous étions les rois en allant faire la fête le soir en la ville frontière de Tijuana, mais à bord, voyez donc, nous manquions du nécessaire !
C’est un épisode ineffaçable de la vie des petits marins français à San Diego, au mois de novembre 1951, auquel nous allons donner le Titre de : Tavola Red Wine (le vin rouge de la maison Tavola).
Je l’ai écrit un peu plus haut, pendant quelques jours des marins américains sont restés avec nous afin de parfaire la prise en main du LST par l’équipage français et, si la majeure partie des services étaient devenus généralement mixte, la cuisine, elle, était restée totalement américaine, et vous voyez d'ici le tableau : déjà un peu la formule Mac Do, arrosée avec du lait, du jus de fruit ou de l’eau du charnier.
C’est maigre et ça n’a pas le goût de notre gwen ru, bien Français et livré le long du bord par camion citerne à partir de la cambuse principale de l’arsenal.
Oui, mais c’est plus grave qu’on ne le pense, car le marin de chez nous, sans pinard dans son bidon, devient rapidement inapte et exposé à toutes sortes de calamités et de maladies de la création : pas de moral, pas de force, nostalgie du dernier bidon vu ou bu, sommeil permanent la journée et bien sûr, plus de sommeil la nuit, articulations craquantes, maux de tête… enfin tout, quoi !
Mais le plus grave, à partir de quoi il n’y a plus rien qui marche, c’est quand les vieux crabes-chefs, les piliers de l'équipage, les choufs comme on dit maintenant, commencent à voir des rats en tricots rayés courir sur les chemins de câble… là, tout est foutu.
Nous avions un QM commis qui s’appelait Guy Lesaux (je lance un appel pour le retrouver) ; il avait certainement assimilé tout ça au cours de B.E. : que le pinard, le tabac et le courrier sont les trois mamelles indispensables pour garder le moral de la troupe en opérations.
Il allait à terre avec son copain R. Stephan, un gars des LCVP ; un jour, qu’ils faisaient du window shopping (lèche-vitrine) dans Market Street, celles principalement où l’on remarquait de nombreux flacons plats, faciles à caser dans les poches ; flacons de whisky, de gin, ou autre gnôle de même nature, soudain, l’attention de nos deux fouineurs fut attirée par un écriteau sur lequel était écrit : TAVOLA RED WINE. Huit jours de présence aux Etats-Unis ne leur avaient par permis d’apprendre la langue mais Red Wine, et bien, ils savaient, et ce fut tant mieux pour le Golo et son équipage.
Croyez-moi sur parole que ces deux-la sont rentrés bien vite à bord, ils sont rentrés en marchant vite et non en courant car en ville, on sait qu’un gars qui court, c’est probablement un voleur, et on sait aussi que les policemen américains ont la matraque facile.
Ils ont fait leur rapport à monsieur Surply, notre officier en second, relatant leur découverte, qui en référa illico au commandant Lévêque, la porte en face, à la suite de quoi tout le processus fut enclenché.
Bien entendu, il fallut au second et au commis faire des calculs savants afin de connaître les besoins du Golo en Tavola Red Wine ; c’est que beaucoup de facteurs devaient être pris en compte dans ce calcul.
L’équipage, la durée de la traversée jusqu’à Saigon via Haiphong, les doubles et demi-doubles (ce qui n’existe plus dans la marine).
Ce vin serait livré en Gallons, des bouteilles en verre d’environ quatre litres, alors il y en aurait probablement de cassées, il fallait aussi le «prévoir», et largement… c’est que ça bouge un bateau à fond plat sur la houle du Pacifique…
Et puis rajouter un bon pied de pilote en plus, il ne fallait surtout pas risquer de voir revenir toutes les maladies qui se pressaient à notre coupée ces jours-ci..
Il fallut même qu’ensuite, au niveau de l’ambassade, ou du consulat, un bureau qui détenait les fonds pour ce marché, planchât sur cette affaire qui conditionnait la santé et l’allant des marins français qui partaient vers l'Indochine en guerre.
Peu de temps après, arrive le long du bord un camion bâché sur laquelle était inscrit : TAVOLA RED WINE.
C’était notre commande qui arrivait.
Ah ! je puis vous certifier que la corvée fut prestement exécutée.
Même pas besoin d’appeler le tiers de corvée, à peine le moteur du camion stoppé, il étaient tous arrivés et penchés à la rambarde.
Et puis voici tous les disponibles des autres tiers qui se pointent et qui s’y mettent.
A-t-on souvent vu des volontaires pour une corvée ?
Sur le Golo, pour une corvée de vin, oui !
Les marins du Golo avaient tous retrouvé le moral avant même d’avoir goûté à cet excellent breuvage qui faisaient 14 degrés. C'était du vin de précision, pas du cambusard.
Et la corvée fut rondement menée car ce vin était livré en cartons de quatre gallons qui pesaient environ 20 kg, ce qui n’était pas bien lourd.
André Pilon, matelot timonier du Golo en 1951.