Cinq églises à Reao !

En cent ans quatre églises furent construites sur notre atoll et une cinquième fut commencée et jamais terminée. C’est quand même quelque chose d’incroyable pour une si petite île, pour une communauté qui comptait peut-être mille âmes en 1865, et à peine trois cents personnes un siècle plus tard, lors de l’établissement du Centre d’Expérimentions du Pacifique. Mais c’est tout de même moins surprenant que les travaux pharaoniques de Mangareva.
Le premier missionnaire de Reao fut le père Roussel qui arriva en juin 1965 avant de se rendre à l’île de Pâques l’année suivante.
Comme la population était disséminée sur le pourtour de l’atoll, il est probable, selon Teaka Pou dont j’ai parlé plus haut, que plusieurs points de cultes furent construits mais il n’en reste aucune trace, les matériaux avec lesquels ils étaient construits étant putrescibles.
Par la suite, au bout de quelques brèves années, la population ayant été regroupée en un seul lieu, au lieu-dit Tapu Arava, la place qui est toujours le village actuel, on construisit rapidement une église, avec l’aide des premiers chrétiens, en matériaux locaux : du bois, des branchages, des feuillages.
(Pou me disait aussi que ce village aurait dû s’appeler Pua Kiri Kiri, et non pas Tapu Arava, c’était une erreur de popaa, une erreur de notation de géographe marine). Par la suite on entreprit bientôt la construction d’un bâtiment en dur, c’est l’église que nous avons pu connaître, debout jusqu’en 1968, à l’endroit ou a été implanté le bâtiment actuel mais orienté un peu différemment.
C’était un bâtiment sobre couvert en tôle au long duquel une grande citerne était accotée ce qui permettait de récolter l’eau de pluie et la stoker.
Quand, dans les années 30 du siècle dernier, l’hôpital pour lépreux fut construit principalement pour des malades de Puka Rua, l’atoll d’en face, auxquels on joindra bientôt ceux d’ici, on y construisit une petite église réservée aux malades, en dur, mais couverte en nikau ou en fara, c’était donc la troisième ; elle était considérée comme provisoire car la construction d’un édifice cultuel plus grand allait être commencé mais bientôt abandonné, la léproserie allant fermer après la Seconde Guerre mondiale.
On peut remarquer les premier murs de cette construction à l’abandon, sur la photo ci-dessous. Ces murs sont bien visibles, en arrière plan, à droite du hangar de gonflement ; ils atteignent la hauteur d’un bon mètre avec un fourré d’une espèce d’acacia qui a poussé à l’intérieur, dans l’espace qui aurait été la nef.

Et puis, la dernière, la magnifique église de maintenant, celle qui fut commencée en 1968, que j’ai pu voir en 1970, alors qu’elle était - excepté le gros œuvre - loin d’être terminée et qui a été bâtie par toute la communauté, grands comme petits, femmes et enfants. Alors que le précédent bâtiment était orienté à peu près à l’ouest, l’église nouvelle sera orientée au sud-ouest, vers le 240.
Pour cette église, qui compte huit grandes fenêtres de part et d’autre de la nef, nous en avons déjà parlé, tout ou partie des vitraux ont été offerts par Eddy Mercks, le coureur cycliste, qui était le neveu de Guillaume Vallons, le père Victor, le desservant de cette paroisse maritime, à cette époque.

Ou est donc passé cet hydravion ?

En 1967, quand l’hydravion catalina arrivait à Reao, bien entendu il se posait sur le plan d’eau puisqu’il n’y avait pas de piste au sol en ce temps-là. L’appareil, une fois posé, stationnait au milieu du lagon, amarré sur un coffre, ancré là spécialement pour lui. Matériel, passagers et équipage s’en venaient à terre avec le boston Whealer muni d’un moteur hors-bord de 40CV ou bien de notre baleinière de récif pareillement équipée. Ils débarquaient environ à cinq kilomètres de la bourgade et tout ce train ralliait la station avec les deux véhicules, un 4X4 et une Jeep.
Mais les nouveaux arrivants étaient toujours très surpris en débarquant, comme sur tous les atolls, on voyait principalement trois choses : le ciel, la mer, les cocotiers. A Reao, cette surprise c’était un autre catalina qui était coulé.
Voilà donc l’explication, voilà ce qui est arrivé à cet hydravion dont le numéro était le 48, qui a terminé ses jours dans ce lagon, trouvé dans :

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Par la suite, et peu après l’accident, il fut tiré sur le rivage nord du lagon et précisément au point de débarquement des passagers ; il reposait, incliné, dans deux mètres d’eau environ et projetant l’une de ses longues ailes (32 mètres d’envergure) au-dessus du plan d’eau à la manière d’un tremplin pour ski nautique.
A l’avénement de Google earth, sur internet, je me suis dit : Ah ! Je vais revoir entre autres détails, ce catalina ; et bien il n’est plus !
Bien entendu, moi qui connaît Reao comme mes poches de pantalon, je distingue avec cette formidable technique et en haute définition, tout ce qui a été construit, démoli, changé ou modifié depuis mon dernier passage qui eut lieu en 1970, il y a 38 ans : l’église neuve, le petit aérodrome, proche du bourg, sur la côte Nord, deux petits ports creusés dans le récif, l’un au bout de la rue principale, lieu de débarquement habituel, l’autre au sud-ouest, au bout de la rue qui part du village. Deux ponceaux, qui sont construits sur la côte sud, entre motu, là ou les hoa sont profonds, permettant ainsi de passer facilement avec des véhicules, il y en a plusieurs à Reao maintenant.
L’abri retombées Pantz a été démoli et on remarque bien sa trace au sol ainsi que la zone sableuse aménagée sur laquelle était posée la Tortue, un autre abri, monté passagèrement pour les tirs de 1966.
Mais où est passé ce catalina ? catalina pe (pourri), comme disaient les Reao.

Connaissez-vous le motoro ?

La définition de ce mot que nous donne la « Grammaire et Dictionnaire de la langue tahitienne » (5ème édition-1969), par Mgr Tepano Jaussen, ancien évêque de Tahiti c’est : faire un rapt (de jeune fille)
Celle du « Lexique du Tahitien contemporain » de Yves Lemaître (1973), nous donne déjà une définition plus conforme à la réalité et on peut y lire : Motoro : entrer la nuit chez une jeune fille ou une femme pour la séduire ; Cf. totoro. Totoro veux dire : approcher d’une poule ou d’un animal quelconque pour l’attraper par surprise.
Comme j’ai pu effectuer, sur nos atolls, quelques «études de mœurs », j’ai une définition personnelle du motoro que je vous livre ici, le qualifiant comme : un acte d’amour nocturne et frauduleux, plus ou moins bien consenti (plutôt bien en général) et que pratiquent les adolescents, mais aussi les moins jeunes. Chez les adolescents, quand ils sont de deux familles qui n’ont pas trop « d’atomes crochus » cela se termine bien souvent par un « tapuni », par une fuite à Gake, où le jeune couple se cache, vivant d’amour et de poisson frais pendant quelques jours. Tapuni = se cacher.
Fin 1967, à la sortie de la messe, un dimanche à Reao, le katakita numéro un, Tetuanui Moearo, a eu à débattre d’une de ces affaires sur la place de l’église ancienne, affaire qui avait eu lieu dans la semaine et qui ne s’est pas terminée par un tapuni.

Il était question du jeune Tahunui, circoncis depuis six mois environ et qui voulut faire le motoro à la demoiselle Koreta (prénoms changés). L’affaire se solda par un fiasco et tout le village fit au courant. Tahunui, sous la réprimante, baissait les yeux tout honteux, honteux surtout d’avoir raté son affaire, car pour un jeune pomotu un motoro réussi : c’est glorieux.

Quand un garçon a des visées nocturnes envers une fille, il prépare soigneusement le terrain de son futur motoro, en s'y prenant longtemps à l'avance. Dans les jours qui précèdent, il se fait connaître et aimer des chiens de la maison et du voisinage immédiat, il les apprivoise en leur apportant quelques bribes d'aliments qu'il leur offre en cachette. Il se dirige vers le faré en marchant nu-pieds et en passant toujours aux mêmes endroits de préférence et en rasant les murs ; il se déplace dans les coins ombreux, en choisissant les passages peu caillouteux, afin d'en limiter les crissements. Il les appelle en sifflant, à distance, avec de petits sifflements discrets, à la limite de l'ultrason. De cette façon, le jour de l'opération, par nuit sans lune ou bien après son coucher, parfois au petit matin, il répétera tous ces gestes et il n'y aura aucun empêchement de la part des bêtes bien éduquées.
Cette nuit-là, Tahunui a laissé son pantalon, sa chemise et ses savates à distance au pied d'un cocotier. Avec juste un paréo autour de la taille, il a enduit tout son corps de monoi ; cela lui permettra de glisser comme une anguille entre les mains de celui qui pourrait l'agripper, un cerbère gardien du logis, pour défendre la vertu des filles de la maison, placé là, un solide gourdin à portée de sa main. Il en a aussi huilé son kokoro, sa verge ; il est donc arrivé bien préparé et tout à fait sûr de son affaire. Il distribuait aux chiens le reconnaissant, quelques petits morceaux de poisson ou d’os de cochon qu'il gardait en réserve depuis le dimanche précédent, pour cette tournée nocturne qui, jusque là se passait comme prévu. Oui, tout marcha bien jusqu'au moment ou il souffla la lampe et déplaça les allumettes ; on sait que dans les farés pomotu, la lampe à pétrole, le mori tei tei, reste allumé toute la nuit pour chasser les fantômes tupapaku. Personne ne l'avait ni vu ni entendu, tout au moins dans cette maison. Il arrive que parfois des garçons motoro se rencontrent au détour d'un cocotier, il arrive aussi que ce peut être pour la même fille ! ce qui crée des situations parfois cocasses. Ayant repéré la demoiselle avant d'avoir éteint la lumière et se dirigeant vers elle dans le noir, c’est alors qu’il a piétiné une famille de tout jeunes chiots qui étaient venus se coucher là, eux aussi, au bout du peue, la natte. Ils se sont mis à hurler de douleur, et dans la seconde, tous les chiens du quartier leur ont répondu en aboyant, et bientôt tout ceux du village s’y mettaient.
Avec un tel tintamarre, plus personne ne dormait au pays. Un homme se réveille en sursaut dans ce faré. Vite debout, le voici le bâton à la main face à Tahunui qui en est gratifié d'un bon coup dans le noir et à qui il interdit tout passage. Il essaie alors d'attraper le visiteur qui, bien enduit d'huile, lui file entre les doigts et se dirige vers la fenêtre par laquelle il saute. Il retombe en plein sur une vahiné corpulente qui dormait au-dessous, couchée elle aussi sur son peue. Elle n'eut qu'à fermer les bras, sa force faisant le reste pour le retenir. Ah ! c'était d'un comique rare. Tahunui étendu, allongé sur cette maîtresse femme, et qui gigotait tant et plus pour s'en sortir. La grosse vahiné qui perdait son paréo dénoué, avait les seins et les cuisses à l'air. Avec tout ce bruit, les voisins arrivaient, en courant presque, pour jouir du spectacle, éclairant de loin la scène avec leur moripata ; deux ou trois rayons lumineux illuminaient et agrémentaient le tableau. Et dans tout le village, les chiens aboyaient de plus belle ! L’homme, le bâton à la main, s'étant approché du couple qui continuait son agitation frénétique au sol, Tahunui cherchant à se dégager et à s'enfuir et la vahiné s'y opposant ; l’homme donc, ne pouvait pas donner ses coups de trique, il aurait cogné sur la grosse qui était sa femme. Il est alors rentré dans le faré pour y prendre sa lampe torche qu'il n'avait pas trouvée au moment de son réveil. Il voulait au moins savoir qui était ce garçon, voir son visage ; dans la pénombre, il ne l'avait pas reconnu. Pendant ce court moment d'absence de l'homme, Tahunui, gras de monoi, parvenait à glisser d'entre ces bras féminins puissants. Dégagé, il a filé, tout nu, vers les farés proches, son paréo restant entre les mains de la grosse femme. On courut derrière lui, mais il avait déjà disparu dans l'ombre propice des bâtiments...
Personne n’avait pu le reconnaître, mais en s’enfuyant, il avait foncé dans un citronnier plein d’épines qui l’avait griffé sur le corps et au visage. Il fut donc dénoncé par toutes ces griffures.

André Pilon