Plus question d’exercice. Quarante-huit heures auparavant, un dock flottant de 135 mètres de long a quitté Brest, remorqué par le RHM* « Tenace ». L’attelage a été cueilli à froid par un gros coup de vent dans le Golfe de Gascogne. La remorque a cassé, et le dock poussé par l’action du vent sur ses murailles de 15 mètres de haut, est parti vivre sa vie en solitaire.
A bord, une équipe de dix marins de la DP* de Brest, qu’il faut récupérer d’urgence.

Où sont-ils ? Mystère. Du côté du Cap Finisterre semble-t-il..
Un Super-Frelon dont l’équipage, a été prévenu avant nous est sur le point de partir. Nous sommes en renfort si la situation l’exige.

Décollage dès que paré.

Il faut reconfigurer l’appareil, faire les pleins, se procurer un minimum de documentation aéronautique…
Tout cela ménage une petite demi-heure de battement avant le décollage.
Je me dis que cette affaire, si elle n’est pas annulée dans la foulée, risque de durer quelque peu. Je passe donc dans ma chambre prendre ma trousse de toilette, enfiler ma tenue « kaki » sous ma combinaison de vol, et me rends au Commissariat demander, au cas où, une petite avance en espèces à mon ami l’Officier d’Administration. Lequel m’explique avec regrets, qu’il n’existe aucune procédure d’urgence en la matière. Il me prête cependant, sur ma bonne mine et sur sa caisse personnelle, deux ou trois cents francs, ce qui est mieux que rien.

Nous avons décollé depuis quelques dizaines de minutes, lorsque nous apprenons par radio que le dock s’est échoué sur la côte de Galice, et que l’équipage est sauf.
Notre mission est donc mise en « stand-by* » et le Clémenceau regagnant Brest l’exercice terminé, nous recevons l’ordre de nous poser à Cazaux, et d’y rester pour la nuit en attente d’instructions futures.
Arriver sur une base de l’Armée de l’Air après la fin du travail et sans y être attendus ne manque pas de poser quelques problèmes…d’intendance. Les repas et les chambres sont effectivement payants, les tickets de repas et les bons de logement doivent être achetés au bureau du Gérant, fermé hors heures ouvrables... Mais il en faut plus pour déstabiliser des marins. Ce qui nous importe, c’est ce qui va suivre car nous serions tous fort déçus de devoir remettre le cap sur Lanvéoc.
Ce ne sera pas le cas. Nos ordres arrivent par télex : rallier La Corogne et se mettre en soutien des équipes Marine et DCAN qui vont arriver de Brest pour évaluer les possibilités de renflouage du dock.

Deuxième jour - 4 Mai

Décollage de bon matin en direction de Santander, escale pour ravitailler en carburant.
Mais au premier contact radio avec les services de la circulation aérienne espagnole, nous apprenons que Santander est fermé pour cause de travaux sur la piste. Profitant de la situation, les essenciers en ont lâchement profité pour prendre des congés. Pas de carburant donc. Déroutement vers Bilbao, ce qui raccourcit notre vol, mais va allonger la prochaine étape. Il n’y a pas de kérosène à La Corogne d’après notre documentation (en fait il y en a…) l’escale obligée est donc Santiago (St Jacques-de-Compostelle). Encore trois heures de vol, en se faisant sérieusement secouer dans la traversée de la cordillère Cantabrique, car nous n’avons pas l’autonomie suffisante pour l’éviter en longeant la côte.
A l’arrivée à Compostelle, nous retrouvons l’équipage du SF 144 (MP Millet, LV Pantin, PM Tellier, Mtre Guitaut).
Arrivés la veille à la tombée de la nuit, ils ont réussi - sur leur bonne mine faute de pesetas - à trouver des chambres d’hôtel. Ce matin, le Consul leur a apporté un peu de cash, et leur a promis de faire le nécessaire pour nous trouver un point de chute à La Corogne, destination vers laquelle nous redécollons dès les pleins effectuées.
Le consul a tenu sa promesse, et nous nous retrouvons dans un très bel hôtel (et très cher..) sur le front de mer.
Dès le lendemain matin, nous partons vers le Cap Vilan, où nous découvrons le dock dans sa fâcheuse situation. En dépit de ses 3800 tonnes, poussé par le vent sur ses murailles de 15 mètres, son fond plat et son tirant d’eau ridiculement faible (0,95 m à l’avant et 1,15m à l’arrière) ont fait qu’il est littéralement parti en surf sur les vagues. Il a sauté plusieurs barres rocheuses avant de s’échouer sur la grève en galets. Il est si bien « planté », que l’équipage est descendu à terre à pied sec !
Le sortir de là semble tout à fait improbable.
Il va falloir de gros moyens, en personnel et matériels, à commencer par des groupes électrogènes et des compresseurs.
Nous rendons compte à Marine Brest par BLU*, le seul moyen de communication à notre disposition. L’endroit est désert, dépourvu de toute route d’accès. Un village de pêcheurs, Camariñas, se situe à quelques kilomètres et de nombreux curieux sont « aux postes d’admiration ». Très amicaux, ils ne peuvent malheureusement nous être d’un grand secours, leur village n’ayant semble-t-il ni téléphone, ni même de courant électrique.


Troisième jour - 5 Mai

Dès le lendemain, un Nord 262 de la 2S amène une équipe d’évaluation DP- DCAN* ainsi qu’un détachement de plongeurs –démineurs du 2ème GPD*.
L’action de ces derniers va se révéler déterminante dans le déroulement de l’opération de sauvetage.
Ils explorent la coque du dock. Les flancs sont très endommagés. Plusieurs têtes de roches sont même tout simplement entrées à l’intérieur des ballasts.
Il faut bien réaliser que « la bête » représente, à l’horizontale, l’équivalent de la tour Défense 2000 : 47 étages, 370 appartements !
Leur compte-rendu plonge les spécialistes dans un abîme de perplexité, mais l’avis unanime est que l’opération de déséchouement est jouable.
Il faudra tout de même un petit coup de pouce de la Nature : en compensation de la colère marine qui a jeté le monument à la côte, la Marée y pourvoira.
Et le coefficient « qui va bien » est attendu à partir du…18 !

Jours suivants…

Les mouvements s’accélèrent. Le matériel lourd, l’outillage, le personnel arrive à coups de rotations répétées des Nord 262.
Le SF 102 qui est un « cargo pur » et a de plus un potentiel d’heures avant maintenance plus conséquent enchaîne les allers-retours La Corogne – Cabo Vilan, personnels sur les sièges « troupe » et le matériel en « sling* »
La météo se montre grincheuse, à l’image de la réputation du coin. Le vent soufflant joliment, ici, pas de problème de stratus*, mais un temps à grains qui, entre deux, ménage une bonne visibilité et des plafonds confortables.
Comme nous sommes deux équipages pour assurer les opérations d’un seul appareil, nous n’avons aucune difficulté à étaler le rythme.
Les mécaniciens, privés de leur hangar de Flottille et de beaucoup d’accessoires indispensables, doivent parfois faire preuve d’imagination.
Comme cette fois, ou, ayant volé un peu trop près d’un grain, le scotch qui protège les bords d’attaque des pales s’est décollé et a « quitté le bord »… Il faut le remplacer car, si nous reprenons la pluie sans cette protection, les pales risquent d’être endommagées et devoir subir une maintenance lourde…et coûteuse.
Nous sommes posés au Cabo Vilan, dans la pampa…Pas d’échelle pour attteindre le « corpus delicti ». Le PM Tellier, Mécanicien de Bord, avise alors un âne dont le propriétaire est venu admirer « l’helicoptero »
Il fait amener l’animal à l’aplomb de la pale concernée et entreprend de monter debout sur le bât. Les ânes ne sont pas réputés pour leur esprit de coopération, mais celui-ci se montre particulièrement aimable et l’opération est menée à bien sans difficultés majeures.
Estimant que cette situation mérité d’être immortalisée, je demande au Mtre Guitaut, Grand-Prêtre de l’Altiphot – l’appareil de photo – de prendre quelques clichés pour le journal de marche de la Flottille. Il réagit au quart de tour et mitraille à tout va.
Ce n’est qu’une fois Tellier descendu de son perchoir à oreilles qu’il s’apercevra avoir dans l’urgence, oublié d’enlever le cache-objectif ! En dépit de nos confraternelles sollicitations, Tellier refuse de remonter sachant que ce genre de souvenir risque de lui coûter cher…au bar du Poste des Officiers Mariniers.. !

Tellier qui nous gratifie à l’envi de son : « et ma femme qui croit que j’ m’amuse.. » grommelé dans sa barbe, deviendra très populaire à Camariñas, après avoir délicatement soigné à l’aide de la trousse d’urgence du bord, une adolescente portant une vilaine plaie infectée au bras.

Le 6 (ou le 7), le 144 met le cap vers Lanvéoc, avec l’équipage Millet – Omnès reformé selon les besoins de la Flottille et des impératifs de chacun, l’un de ces impératifs étant…un mariage qui ne saurait nonobstant les exigences opérationnelles, être renvoyé à une date ultérieure…

Côté intendance, nous sommes toujours dans le bel hôtel du front de mer…dont le tarif est bien supérieur aux frais de mission qui nous sont alloués. Nous avons tenté de joindre l’attaché naval à Madrid, mais il est en congés. Quant au consul qui a donné sa garantie à l’hôtel, il est également aux abonnés absents. Pas d’autre solution que de rester là où nous sommes.
Nous avons tout de même, au bout de quelques jours, reçu quelques vêtements et un peu d’argent, la Flottille ayant envoyé un chauffeur faire la tournée de nos domiciles…Le message, « votre mari est en Espagne, il lui faut du fric et des fringues.. » a été diversement apprécié par les épouses si l’on en croit les « petits mots » qui accompagnent les colis.
Dure vie que celle de la femme de marin…si elles savaient qu’un soir, en rentrant à l’hôtel, nous découvrons le hall envahi de beautés slaves pourvues de caractéristiques aérodynamiques propres à faire pâlir tout le bureau d’études de chez Dassault-Aviation, le retour du guerrier pourrait en être durement affecté !

Car il s’agit, ni plus, ni moins, que du corps de ballet du Bolchoï en tournée…Et comme la musique adoucit les mœurs, il semblerait que la danse - et surtout la danseuse - incline les chasseurs de sous-marins soviétiques à la fraternisation..
Malheureusement, en dépit des accusés de réception très positifs émis par les « cibles » il ne se passe rien, car la troupe est entourée de Krouchtchev femelles qui surgissent comme par magie à la moindre tentative d’accostage.
Certains arriveront toutefois à échanger quelques propos, dont il ressort que les belles sont effectivement très surveillées par les « tovaritch politrouk *» et menacées de sanctions à la première incartade.

Côté dock, les plongeurs-démineurs font fort.
Avant toute tentative de renflouage, il faut réparer les déchirures des ballasts, après avoir retiré à l’outil pneumatique et à l’aide de petites charges de démolition les têtes de roches qui ont « poussé » à l’intérieur.
Il leur faut progresser de ballast en ballast, en refermant derrière eux les tapes de communication. Opération délicate et particulièrement dangereuse qu’ils vont effectuer systématiquement et patiemment.
Le travail est encore compliqué par les lames qui brisent, alternant des surpressions et phénomènes de succion dans les ballasts déchirés.
Un des plongeurs se retrouvera ainsi sous nos yeux, aspiré à l’extérieur, heureusement sans dommages pour lui.

Septième jour : 9 Mai

Arrivée du SF 159, commandé par notre Officier en Second, le LV Girard.
Lequel, ignorant les détails de nos pérégrinations, commence par nous passer un savon, nous reprochant d’être restés dans un hôtel trop beau et surtout trop cher pour nous.
Un seul appareil étant nécessaire, notre départ est programmé pour le 12.

Neuvième jour : 11 Mai

Arrivée par le Nord 262 d’un Commissaire Principal du service de la solde de Brest.
Il est porteur d’une valise de « pesetas ». Il s’installe dans un coin du hall de l’hôtel, et nous appelle un par un. Simple calcul : montant journalier des frais de mission correspondant au grade et à la zone multiplié par le nombre de jours égalent la somme qu’il nous remet sans désemparer. Même pour les plus gradés, cela ne suffit pas pour payer la note d’hôtel, il faudra mettre la main à la poche. Et nos protestations n’y changeront rien.
Comme nous avons dans notre équipage deux matelots sous durée légale dont la « dotation » confine au ridicule, nous ne pouvons que nous cotiser entre gradés et régler pour eux.

Dixième jour : 12 Mai

La Corogne – Bilbao – Rochefort – Lanvéoc, en un peu moins de 7 heures de vol

Le dock sera déséchoué à la grande marée de la fin Mai au terme d’une très belle opération menée conjointement par les remorqueurs Tenace, Rhinocéros, Centaure et Aber Wrac’h.

Il passera un an à l’arsenal espagnol du Ferréol, situé juste en face de La Corogne.
En Juin 1975, il reprendra la route vers Papeete, remorqué toujours par le Tenace et escorté par le Rhinocéros jusqu’à Panama. Ce dernier sera remplacé, côté Pacifique par l’Hippopotame.
Il arrivera sans encombre à Papeete, où il se trouve encore aujourd’hui.

Quant au Tenace, qui vient de terminer sa carrière, il figure malheureusement au tableau des bâtiments « scoumoune* »
Peu de temps après son admission au service actif, lors d’un exercice de remorquage du « Maillé Brézé* », la remorque s’est rompue, tuant l’Officier en Second.

Durant les travaux de réparations du dock au Ferréol, il a été percuté par une frégate espagnole effectuant sur coffre un essai de puissance, suite à la rupture de l’amarrage du dit-coffre. Plusieurs Officiers-Mariniers ont été blessés.

Je retrouverai le Tenace quelques années plus tard, dans le cadre d’une nouvelle mésaventure.
Dans l’après-midi du 25 Novembre 1987, il quitte Cherbourg à destination de Lorient, remorquant le sous-marin Gymnote qui vient de terminer sa carrière de banc d’essais des missiles MSBS*. La mer est agitée, le vent dépasse les 35 kts en rafales, la remorque casse. Entraîné par le courant, poussé par le vent, le Gymnote dérive vers la côte du Nord-Cotentin.
Il n’y a pas de personnel à bord, impossible de repasser une nouvelle remorque.
Appelée à la rescousse, l’Abeille Languedoc appareille, et la nuit tombant, demande le concours de l’hélicoptère d’alerte, le Dauphin de la Société Héliservices délégataire du service public dans la Première Région Maritime dont je suis ce jour-là, le Commandant de bord.

Il ne reste qu’une heure de jour lorsque nous décollons. Nous récupérons rapidement une équipe réduite de trois personnes sur l’Abeille-Languedoc*, et les treuillons sur le Gymnote dont le pont est balayé par les lames. En quelques minutes ils établissent une nouvelle remorque, alors que le sous-marin n’est plus qu’à une centaine de mètres de la côte. Jusqu’à la renverse, le Commandant de l’Abeille se contentera d’étaler le courant sans oser hâler son client vers le large, toute rupture de la remorque se traduisant inévitablement par une catastrophe.

Pendant ce temps, le remorqueur-qui-n’a-pas-de-chance est resté prudemment assez loin sur l’horizon. Peut-être cela valait-il mieux.

Deux jours plus tard, il repart avec son colis. Cette fois, une équipe a été laissée à bord du Gymnote « en cas de quoi que ce soit… ». Le sous-marin étant absolument vidé de tout aménagement, le confort est plutôt réduit.
Nous allons effectuer une relève de cette équipe à mi-chemin de Brest. Le convoi se déplaçant à 5 nœuds, l’enthousiasme des embarquants se lit sur leurs visages..

Cette histoire aurait sûrement inspiré les échotiers si elle s’était répandue…Mais tout le monde a été finalement très discret et l’affaire est restée confidentielle.

CC (H)Jean Debroize
Section Alouettes du Pacifique (Sect.Al.Pac) 1971 - 1972
Escadrille 27S 1975-1976

Les suivantes, je les ai travaillés au niveau couleur, car dans le livre elles sont à dominantes rouge.



Des tableaux que je mets dans mon salon, je change en fonction de mon humeur,....
Il me semble que j'avais acheté cette photo avant le retour en FRANCE, par le TCD OURAGAN, en juillet 1967.
Ma Mère l'a ensuite faite encadré par un pro.


Les dernières achetées, après 1970. L'encadrement est maison.