J'ai placé mes autres enfants dans la famille de ma femme qui est polynésienne.
J'ai passé la nuit à placer toutes nos affaires personnelles (meubles et électroménagers appartiennent à l'armée) empilées sur 3 palettes dans la salle de bain, seule pièce sans fenêtre (juste des louvres) et le tout entouré d'une grande bâche.
Nous quittons la cité à 05h00 du matin, le vent souffle déjà très fort et la ville est jonchée de débris.
Il y a interdiction de circuler mais les consignes du bord sont de rejoindre notre unité (ces consignes sont pour les civils ont dit les "seigneurs du donjon").
Les boscos se mettent rapidement à l’œuvre pour surveiller l'amarrage, et c'est surtout la plage avant qui est concernée car nous sommes amarrés aux pontons face à la paillote, le TRIEUX étant au beaching du sablage, face à la porte de l'arsenal.
Le vent nous vient presque de face, légèrement sur tribord.
La coupée est vite enlevée mais une équipe de quai a été laissée à l'abri de la paillote, parée à intervenir.

Le vent souffle de plus en plus fort alors que la matinée avance, il y a 2,5 de creux dans le port de Papeete et les appareils de mesure de la météo pour le vent se sont bloqués dans la zone portuaire à 230k/h ; la DP nous a envoyé 2 pousseurs qui nous aiderons à rester contre les pontons pendant plusieurs heures, les moteurs à fond !!!
Les aussières commencent à casser; les pointes avant en câble d'acier de 32 mm sont équipées à leur extrémité d'une aussière de 80 mm et 10 m de long pour amortir les secousses (on appelle cela un spring).
Rapidement les springs cassent (heureusement pas tous en même temps) on les replace.
Pour envoyer les aussières à l'équipe de quai, les lances amarres sont inutiles face au vent ; on remplace donc les pommes par des grosses manilles (l'équipe de quai ne peut pas venir sur les pontons qui sont comme des montagnes russes).
Une fois tous les springs cassés, on est bien obligé de mettre directement les fils d'acier sur le quai et eux aussi vont casser à tour de rôle.
On monte vite fait une équipe (dans le hangar hélico) pour refaire les épissures au bout des câbles cassés et là pas de chalala, 4 passes et hop, on envoie sur le quai.
Depuis le début de ce poste de manœuvre inouï, on apprend tous très vite à plonger sur le pont dès que la rupture d'une amarre s'annonce (je serai couvert de bleus et de coupures en fin de journée).
Dans la matinée, le TRIEUX qui a frappé le câble de son ancre arrière sur un coffre, pète le pendeur du coffre (seul point d'amarrage à l'arrière) casse dans la foulée toutes ses amarres avant et dérive dans le port pour aller accoster le pont qui mène à MOTU UTA : une vision d’apocalypse !!
Il y restera jusqu'en fin de journée.
Se déplacer et rester debout avec un vent dépassant les 200 k/h n'est pas évident et la pluie qui tombe et nous fouette nous fait très mal malgré nos cirés ; et c'est sans parler du bruit de cette même pluie sur les capuches, assourdissant ; nombres de personnes tombent à cause du vent mais par miracle il n'y aura pas de blessé grave (vent ou aussières qui cassent)...

Nous ne sommes bien sûr pas les seuls à bosser sur le pont, en cuisine cela s'active aussi et ils préparent des tas de casse croûte pour alimenter les "forçats" du pont, mais aussi une grande gamelle de thé+ratafia, ce qui réchauffe bien les marins.
Ce poste de manœuvre qui aura débuté vers 06h00 du matin va se terminer en fin d'après midi vers 17h00.
La mission est remplie, on a maintenu le Blavet à quai !!
Je quitte le bord vers 18h00 pour rejoindre ma femme et mon fils à la clinique et voir où en est ma voiture ; dans la rue où elle est garée, devant elle une voiture écrasée par un arbre, derrière elle pareil et la mienne couverte de quelques feuilles : le soulagement.
Aillant rassuré mon épouse que je vais bien, je rentre à la cité GRAND, toujours avec le fourrier (je n'aurai des nouvelles de mes autres enfants que le lendemain, ils sont à Pamatai, quartier hyper sinistré...
En arrivant devant mon immeuble (bâtiment K, un seul étage) je constate que le toit a disparu (environ 50 m de long, 10 m de large, poutres en acier...) et les locataires sont abasourdis car une fois le toit parti le vent a fait un effet "ventury" et a aspiré l'intérieur des logements (meubles, linges, tout !!!).
Jusqu'au 1er avril, j'habitais au 1er étage mais ma famille s'agrandissant, j'avais négocié un appartement plus grand au rez de chaussé : à 10 jours près, nous perdions toutes nos affaires...
Notre appartement était bien sûr inondé avec l'eau qui a coulé du 1er, mais un gros arbre situé dans le terrain du voisin de l'immeuble est tombé contre ma petite terrasse et les branches et feuillage ont protégé les baies vitrées, donc juste 10 cm d'eau dans l'appartement.
Pour ce qui est des réparations, remplacement du mobilier abîmé (matelas, électroménagers) l'armée à fait un travail remarquable.
De plus, ma famille pouvait compter sur la famille de ma femme et j'ai pu reprendre la mer quelques jours plus tard l'esprit tranquille, ce qui n'a pas été le cas de beaucoup de membres de l'équipage.
Mais cela fera l'objet d'un futur chapitre où on va parler de JR et BOBY.
Soit dit en passant, nous n'avons pas été écrasé par le poids de la reconnaissance de notre état major suite à cette journée mémorable.
A suivre...